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Les musées du monde entier s'arrachent les créations de Paul Poiret

Sous le marteau de Maître Audap de l'étude Piasa la vente de "L'Univers de Denise et Paul Poiret, 1905-1928" a connu un éclatant succés mardi et mercredi à Paris.
Les musées français et internationaux se sont partagé la garde-robe de l'épouse de Paul Poiret, le couturier d'avant-garde qui a marqué la mode française au début du XXème siècle. Non seulement le produit total de ces deux vacations s'élève à près 1,888 million d'euros, mais la totalité des produits a été vendue et deux records mondiaux ont été réalisés.
Une collection jusqu'alors conservée au sein de la famille Poiret

Les 10 et 11 mai 2005, la maison de ventes aux enchères parisienne Piasa a dispersé près de six cents pièces en provenance directe des héritiers de Denise et Paul Poiret.
Les œuvres ont été acquises par des collectionneurs européens et étrangers ainsi que par des Conservateurs ou représentants de Musées d'Europe et des Etats-Unis.
Presque toutes les nationalités étaient représentées, conférant ainsi au marché parisien une dimension internationale. Ainsi, de nombreux américains, des suisses, des canadiens, des anglais, des belges, des allemands, des espagnols et des Sud-Américains étaient, entre autres, présents. Devant l'engouement qu'ont suscité ces ventes aux enchères et le nombre impressionnant de visiteurs au cours de l'exposition (environ 8.000 personnes), l'on comprend mieux l'importance d'une telle vacation qui mettait en scène une collection jusqu'alors conservée au sein de la famille Poiret.

Des objets qui ont près d'un siècle mais restent d'une étonnante modernité

Lors de cette exceptionnelle vente, dont le montant total s'élève à 1.888 million d'euros. Des achats ont été effectués par le Metropolitan Museum of Art de New-York (The Costume Institute), Le Fashion Institute of Technology de New-York, le Fine Art Museum of San Francisco, le Musée de Bruxelles, le Musée de la Mode au Chili, le Musée Louis Vuitton, et la Bibliothèque Forney.Les collectionneurs privés sont également venus nombreux des Etats-Unis, de Suisse, du Canada, de Grande-Bretagne, d'Espagne, d'Amérique Latine, tous enthousiastes devant les 600 robes et objets de Denise Poiret, qui ont près d'un siècle mais restent d'une étonnante modernité.
L'enchère la plus élevée s'est portée 331 131.648 euros, sur un manteau d'automobile, 1914 en épaisse toile de lin et soie ivoire, tissée par Rodier façon jute et tissée sur le buste de rayures bleu indigo terminées en chevron. Cette pièce a été exposée en 1976 au Fashion Institute of Technology de New-York. Il s'agit d'un record mondial pour un vêtement de Haute-Couture.

Un record mondial pour une paire de souliers

Les souliers du soir, modèle "Le Bal" exécutés spécialement pour Madame Paul Poiret, d'après un carton de Guy Arnoux par Perugia, 1924 ont atteint la somme de 40.912 euros. Il s'agit d'un record mondial pour une paire de souliers.
Le commissaire-priseur de Piasa, Pierre Emmanuel Audap a reconnu que beaucoup de ces créations vont ainsi partir à l'étranger mais estime-t-il : "C'est tant mieux ! Cela participe du rayonnement de la culture française dans le monde alors que souvent chez nous ces choses restent dans des caves."
Dans le cadre de ces vacations, 57 préemptions ont été enregistrées par le Musée des Arts Décoratifs, 26 par le Musée Galliera, 7 par le Musée de la Dentelle à Calais et 6 par le Musée International de la Parfumerie de Grasse.
Le Musée Galliera qui détient déjà 72 pièces de Poiret, a notamment acquis la célèbre robe blanche Delphinium (1912) que Denise Poiret avait baptisée "Robe Bonheur" en souvenir des jours heureux.


Trois vieilles malles, oubliées dans un grenier

C'est dans trois vieilles malles, oubliées dans un grenier de sa maison, que la petite-fille de Denise Poiret a retrouvé ces trésors empilés mais très bien conservés: robes, manteaux, chaussures, vêtements d'enfants, coiffes, turbans, sous-vêtements, accessoires divers.
L'ensemble, cape et robe, modèle "Paris", 1919 en velours de soie chocolat s'est envolé à 105.892 euros. Le manteau du soir, modèle "La Perse", tissu dessiné et réalisé par Raoul Dufy, 1911 s'est vendu 72.199 euros.
Un manteau d'été de promenade, vers 1907, en toile de lin ocre a trouvé preneur à 52.946 euros. La robe d'après-midi, modèle "La robe d'Iribe", dessin du tissu créé par Raoul Dufy, 1913 s'est également vendue 51.743 euros. Le tailleur de dîner, modèle "Premier Consul", vers 1913 a été acquis pour un montant de 48.133 euros.

Un hommage au couturier avant-gardiste qui a marqué le début du XXème siècle

Paul Poiret (1879-1944), qui a libéré la femme du corset et inventé les formes souples et naturelles, avait créé cette garde-robe pour sa jeune épouse adorée Denise, qui l'avait emportée au moment de son divorce en 1928 de son tyrannique mari.
Si les prix des belles robes de velours et soie, comme celles taillées dans des couvertures du Maghreb, dans d'épaisses toiles de lin ou dans des nappes, se sont envolés, quelques chanceux ont cependant pu acheter des mouchoirs ou des bas ou des maquettes de tapis ou de papiers peints pour quelques centaines d'euros
Hormis la prestigieuse origine et la qualité des œuvres présentées, le succès de ces vacations tend à montrer combien "l'Univers de Denise et Paul Poiret" est, de nos jours apprécié des amateurs et collectionneurs français et internationaux qui ont rendu un magnifique hommage à ce couturier avant-gardiste qui a marqué le début du XXème siècle.
Mai 2005
Par Yves CALMEJANE
Portrait de Paul Poiret

"Un homme véritablement "solaire", haut en couleur, et ayant pratiqué trois cultes en un : celui de la femme, de la création, et du plaisir d'exister et de découvrir". Tel est l'hommage et la  conclusion du Conservateur Guillaume Garnier, dans le catalogue de l'exposition, "Paul Poiret et Nicole Groult" qui eut lieu au Musée de la Mode et du Costume, Palais Galliera, à Paris en 1986.

En effet, Paul Poiret rayonna sur la mode et la vie parisienne, la décoration, l'art de vivre grâce à ses talents de couturier, d'amateur d'art et de mécène, de décorateur et d'organisateur de fêtes. Il eut toutes les audaces, toutes les fantaisies, sans cesse à la recherche de nouvelles inspirations, de nouveaux talents.

Il ne se satisfait pas de créer des lignes mais il invente un style reconnaissable très éloigné des canons esthétiques et des références de la société de l'époque. Dès 1910, ce novateur acquiert d'ailleurs une notoriété internationale en présentant ses collections lors de voyages triomphants en Europe et Outre-Atlantique.

Immergé dans son univers et les milieux d'avant-garde, il transforma la mode du début de siècle encore influencée par les cours d'Europe du XIXème en simplifiant les formes et les coupes associant des matières originales et luxueuses, révolutionnant le rapport aux couleurs.

Il puise ses inspirations aussi bien dans le Directoire que dans les orientalismes, les exotismes qui innervaient alors le monde artistique à la recherche d'une simplification des formes.
Ouvert aux expériences de la Wiener Werkstätte, il ouvrit une école, l'Ecole Martine, pour de très jeunes filles de milieu modeste à la créativité spontanée. De cette illustre école sortirent des meubles, des objets et des textiles qu'il commercialisa sous le label "Martine", du nom de l'une de ses filles.
L'aînée, Rosine, donna son nom à la création du premier parfum d'un couturier. Il choisit comme parfumeur Henri Almeras, celui qui créera en 1931 le très fameux "Joy" de Jean Patou.

"Je ne vous prêche pas l'économie, je ne vous parle que d'élégance", tel était son slogan.


Denise Poiret, sa femme et sa muse

En 1905, Paul Poiret épouse Denise Boulet, fille de riches drapiers d'Elbeuf, dont il avait apprécié la liberté, la désinvolture, l'élégance naturelle depuis l'adolescence. Il fit d'elle sa collaboratrice dans sa création, l'organisation de sa société et de ses fêtes.
Cette jeune femme au goût moderne fut son inspiratrice et l'une des femmes les plus élégantes de Paris, une maîtresse de maison, héroïne de ses fêtes et une mère aimante. Le soin avec lequel elle sauvegarda les créations de son mari démontre son attachement à cette période de leur vie et souligne combien cette gloire était certainement aussi la sienne.


Repères chronologiques

 - 20 avril 1879 : naissance de Paul Poiret.
 - Eté 1898 : il est engagé dans l'équipe du grand couturier Doucet, rue de la Paix, maison raffinée et de grande tradition.
 - Hiver 1901 : il entre chez Worth, rue de la Paix, qui habille les souveraines étrangères et l'aristocratie.
 - Septembre 1903 : il ouvre sa propre maison de couture "Paul Poiret", 5, rue Auber à Paris.
 - 5 octobre 1905 : il épouse Denise Boulet en l'église de La Madeleine.
 - Mars 1906 : la Maison s'installe au 37, rue Pasquier, ce qui n'est pas, à cette époque, une adresse habituelle pour une maison de couture. Cette même année, il abandonne le corset ; c'est une révolution pour la mode.
 - Octobre 1906 : naissance de sa fille Rosine, qui sera l'aînée des cinq enfants.
 - Octobre 1909 : il quitte la rue Pasquier pour l'avenue d'Antin; il acquiert un hôtel particulier du XVIIIème siècle totalement délaissé. Il le décore, le transforme; les salons de présentation donnent sur un jardin qui sera le lieu des célèbres fêtes, cadre particulièrement bien adapté à la mise en valeur de ses créations néoclassiques. Ses appartements communiquent avec la maison de couture et donnent sur la rue du Faubourg Saint-honoré, au n°107.
 - Automne 1910 : ils reçoivent Diaghilev et Nijinski qui apportent avec les "Ballets Russes" une esthétique nouvelle. Ils ne travailleront pas ensemble mais partagent les mêmes affinités.
 - Avril 1911 : création des "Ateliers Martine" du nom de leur seconde fille, au 107 Faubourg
Saint-Honoré. En automne, création des "Parfums Rosine"du nom de leur fille aînée.
 - 24 juin 1911 : la fête de "La Mille et Deuxième Nuit".
 - Jusqu'en 1923
La notoriété de la Maison va grandissante.
Les activités de la Maison se diversifient et s'intensifient; Paul Poiret lance de nouvelles lignes et déchaîne des polémiques (la jupe entravée, la jupe-culotte, la robe "Minaret"), réalise des costumes de théâtre pour les comédiennes les plus en vue, ceux de revues, il développe le département décoration d'intérieur et réussit avec Paul Iribe celle de la célèbre comédienne Mlle Spinelly qu'il habille à la scène. Entre-temps, il fait d'innombrables voyages.
 - En 1923, premières difficultés financières.
 - Fin 1924, la Maison s'installe au Rond-Point des Champs Elysées.
 - En 1925 "Paul Poiret", Société Anonyme où sont entrés des financiers, présente à l'Exposition Internationale des Arts Décoratifs les trois célèbres péniches : "Amours" consacrée aux Parfums Rosine, "Délices" restaurant et "Orgues" décorée par des tentures de Dufy, salon de présentation des collections.
 - Novembre 1925 : vente aux enchères de sa collection de tableaux.
 - Automne 1929 : la crise économique a raison de la Maison qui ferme en fin d'année.
 - En 1944, Paul Poiret meurt après avoir publié trois livres de mémoires.

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