Franka Holtmann dirige le Crillon en femme de tête et de cœur
Avec ses grands salons, ses dorures, ses stucs, ses lustres de cristal, ce palace chargé d'histoire pourrait être un lieu imposant, intimidant. Il n'en est rien. Au contraire, il se dégage de l'ensemble une impression particulière, une ambiance de demeure privée. L'air chargé d'effluves d'ambre vous chatouille agréablement les narines et le regard s'accroche aux compositions florales. Nul doute, une main féminine est passée par là.
Cette main, ou plutôt cette bonne fée, s'appelle Franka Holtmann.
Diriger un véritable monument historique
Elégante, le regard bleu, celle qui a été nommée en septembre 2003, directeur général du Crillon est une femme dynamique et attentive. "En engageant une femme (une Allemande qui plus est...) pour diriger ce véritable monument historique, chargé de symboles, le groupe propriétaire du Crillon fait preuve d'une grande tolérance et d'une belle ouverture d'esprit." déclare-t-elle d'emblée...
Son atout : être une femme
Un parcours professionnel sans faute lui a permis d'accumuler les expériences dans les établissements les plus prestigieux du monde (Méridien, Warwick, Westminster, Hilton, Ritz) jusqu'au poste de numéro deux de l'hôtel Plaza Athénée à Paris qu'elle occupait avant d'arriver au Crillon.
A ses yeux, son atout justement, c'est d'être une femme. "Je joue de ma rondeur, de mon écoute pour faire bouger les choses en douceur. Je trouve qu'une femme doit utiliser ses compétences." Dès son arrivée, elle a observé, écouté, arpenté le terrain. S'attachant à remotiver ses troupes en leur accordant sa confiance.
Si le Crillon revit aujourd'hui, c'est sans doute en partie grâce à son charisme et à sa façon de manager. Sa philosophie de l'entreprise tient en trois mots : clients, employés, actionnaires. Aucune révolution, plutôt une évolution. D'ailleurs, la majeure partie des équipes est restée en place.
Redonner au Crillon un supplément d'âme et l'humaniser
"J'ai voulu humaniser ce palace, l'adoucir et lui donner le supplément d'âme qui lui manquait souligne-t-elle. Si j'ai réussi ce pari, c'est aussi grâce au groupe qui m'a donné les moyens et m'a permis d'embaucher 40 personnes." Dont notamment Jean-François Piège, le cuisinier vedette du Plaza Athénée et ancien élève d'Alain Ducasse.
Communiquer, recréer un climat de confiance, impliquer le personnel, trois ingrédients qui feront le succès actuel du Crillon. Une main de fer dans un gant de velours, lui permet de réussir, là où d'autres ont échoué. Le discours est clair, sincère et direct, les objectifs tracés.
Un bar à champagnes signé Starck
Le but est tout de même d'augmenter, d'ici à la fin de l'année, le chiffre d'affaires de 22%, d'attirer une clientèle plus mode, plus luxe et de créer un bar à l'entrée du Crillon, en lieu et place de la boutique actuelle. "Pour apporter de la vie et de l'ambiance." Quel type de bar ? "Eh bien un bar à champagnes. Car j'aime ce que ce vin symbolise : la légèreté, la fête, le plaisir."
Sans être portée à tout prix sur les signatures, Franka Holtmann, reconnaît qu'un nom booste une adresse et attire la clientèle. Il faut donc savoir l'utiliser avec discernement. "J'ai revu les couleurs des suites, du restaurant les Ambassadeurs et du patio intérieur avec Sybille de Margerie. Elle s'occupe de la décoration intérieure des hôtels du groupe et a toute la sensibilité nécessaire pour comprendre mes envies et apporter à l'hôtel un côté plus chaleureux sans ostentation. Tout en créant une ambiance.
Pour ce projet de bar, j'ai été convaincue par le travail de Philippe Starck, après avoir vu ce qu'il avait réalisé au Cristal Room, chez Baccarat. Je voulais de la transparence. Il a tout compris...Le projet devrait se réaliser en 2006."
Le meilleur emplacement pour le shopping
Sa grande expérience des palaces a permis à Franka Holtmann de jouer sur les atouts du Crillon qui, jusqu'à ce jour, n'étaient pas totalement exploités. "Sa localisation est un avantage considérable sur lequel nous allons communiquer. Il a le meilleur emplacement pour le shopping, avec les boutiques les plus prestigieuses à proximité. Ses suites avec leurs vastes terrasses à la vue panoramique et ses salons sont également un autre atout dont il faut tirer parti. "
Si on lui demande quelle image elle souhaite donner du Crillon, Franka Holtmann parle d'ambiance, d'harmonie, de chaleur humaine. Pour elle, tout est axé sur le client qui doit se sentir comme chez lui.
Donner de la vie et de la légèreté
Le Ritz a pour lui une image intouchable, très élitiste, le Plaza Athénée, un style plus trendy, le Crillon, lui, se doit d'être chaleureux, moins imposant, moins guindé. "L'aspect trendy, un peu éphémère, ne conviendrait pas au lieu. Je veux l'alléger et lui donner de la vie. Le brunch familial du dimanche par exemple que j'ai créé, a tout de suite suscité un réel engouement et attiré des familles. Nous sommes ainsi plus attractifs aux yeux de la clientèle parisienne. Mais je souhaite aussi élargir l'éventail de nos clients à d'autres pays comme l'Amérique du Sud, le Mexique que je connais ainsi que l'Australie et, bien entendu, la Chine. "
Et le luxe dans tout cela ?
Pour Franka Holtmann, le luxe, c'est tout ce qui tourne autour du subtil, de la finesse, de l'ambiance, une fois de plus. Sans oublier le cœur, qui a son rôle à jouer ici et doit se manifester par de la générosité. "Je pense qu'il faut faire les choses bien ou ne pas les faire..."
La directrice générale du Crillon a toujours cette envie de faire plaisir, d'être authentique dans le comportement et l'attitude. "Le client sent s'il a en face de lui, quelqu'un de sincère ou non. Il ne faut jamais le décevoir."
Le luxe reste lié au prix
Franka Holtmann n'est pas non plus hypocrite et reconnaît que le luxe reste lié à un prix élévé. Même si, pour certains, le luxe doit s'ouvrir à la plus grande masse, elle pense qu'il n'est pas accessible à tout le monde. "Par contre il faut l'humaniser et ne pas faire de différence à l'accès. Un couple qui a économisé pour s'offrir un dîner aux Ambassadeurs, doit recevoir le même accueil, le même service, qu'un diplomate ou un homme d'affaires."
Pour elle, une chose reste importante : "Ne pas ôter au luxe sa poésie." Et elle ajoute : "Changer pour changer ne m'intéresse pas, je déteste l'aspect fashion victim. Il faut garder sa personnalité à travers sa perception du luxe, car le luxe est un univers, il est dans l'air. On a peut-être plus de facilité pour l'obtenir, il demande moins d'effort, mais il faut bien mesurer ce que l'on change. "
Une bonne fée Franka Holtmann ? Gageons en tout cas que grâce à sa baguette magique, les choses ont déjà bien changé à l'hôtel Crillon. Le pire qu'on lui souhaite, c'est ce que cela continue.