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De l'ethnographie du poisson à l'objet de luxe, un autre regard

Dans le cadre de sa thématique sur l'"Imaginaire marin", le Centre de Culture Scientifique, Technique et Industrielle de Lorient propose jusqu'au 16 mai 2005, une exposition ayant pour thème :
"De l'ethnographie du poisson à l'objet de luxe, un autre regard"
A la découverte du "galuchat", du "same" japonais et des cuirs de poissons utilisés par les créateurs et les grands couturiers européens.
Un produit de luxe sorti de la mer...

Il est curieux de voir sortir de la mer, comme la Vénus anadyomène de Botticelli, une nouvelle expression du luxe...
L' exposition de Lorient conçue par Maria Letizia Cravetto, écrivain et Aliette Geistdoerfer, ethnologue, est avant tout ethnographique, mais au bout de son parcours elle fait découvrir au visiteur un aspect rare et étonnant de l'imagination des hommes.
Structurée grâce à un jeu d'assemblage de panneaux, elle révèle les oppositions et les enchevêtrements entre les savoirs de survie, les savoirs d'importation et les savoirs de migration. Les oppositions et les enchevêtrements ont été cernés grâce à trois exemples : les extraordinaires habits des Inuit, le samé, ancêtre du galuchat et l'inimitable cuir de poisson de Fridrik Jonsson.

La peau de phoque : des siècles avant le Gore-Tex...

Les récits, les photos du quotidien des Inuits - dont la source incontournable est l'oeuvre de Jean Malaurie et le Fonds Polaire Jean Malaurie - donnent accès de plain-pied au savoir de survie en montrant comment la lutte, dans des conditions climatiques qui paralysent l'économie, oblige à exploiter le moindre détail au point que même la peau des poissons ou des phoques devient matériel pour s'habiller.
Les qualités sont étonnantes : Une veste inuit fabriquées en intestins de phoque, par exemple, est imperméable à la pluie et au vent, mais laisse la transpiration du chasseur s'évaporer...

Du same au galuchat

Au Japon, dès le VIIIème siècle, la peau de poisson - same - (prononcer "samé") a été employée pour gainer et décorer précieusement des petites boîtes à médecine, plastrons, fourreaux et poignées de sabre.
Du XVème au XVIIème siècle, l'Europe importa cette technique. À Paris, à la fin du XVIIème siècle, les gainiers Galluchat, père et fils, furent néanmoins les premiers à trouver les moyens d'adoucir les peaux de roussette et de requin, de manière à gainer certains objets précieux d'une façon sophistiquée et délicate. Le terme de "galuchat" désigne le produit issu de la peau de certaines espèces de poisson, et vient donc de celui de ces novateurs qui surent améliorer et transformer un savoir importé. (A noter que le nom des inventeurs prend deux "L" alors que les dictionnaires n'en donnent qu'un au nom devenu commun...)
Ce même savoir trouva, lors de la période "Art déco", une autre vogue et un autre genre d'engouement, car les arts appliqués s'approprient des matériaux exotiques et insolites, comme en témoignent actuellement les inventions de Salvatore Ferragamo ou de la créatrice Fawaz Gruosi qui, mélangeant le galuchat à l'or et aux pierres précieuses, essaye de marier ce savoir venu d'ailleurs à son talent d'art en joaillerie.

Le secret de Fridrik Jonsson

Aucun document, aucune photo ne révèle, par contre, ni comment Fridrik Jonsson en 1989 commença à mettre au point des méthodes de tannage pour exploiter les déchets de poisson, d'une usine de congélation qui hantait son quotidien, ni comment, en modifiant et déformant son savoir de tanneur traditionnel, il su créer avec du "jetable" des cuirs d'une souplesse comparable à celle des peaux de chevreaux.
Une sorte de paranoïa protège farouchement la production islandaise...
Les photos ne nous donnent à voir que les âpres et dures conditions de vie du Nord de l'Islande, où se situe Atlantic Leather, l'usine fondée par Fridrik Jonsson grâce à la participation de "Icelandic venture capital found".
Elles montrent la variété de ces nouveaux cuirs-poissons, leurs couleurs vives, nuancées et extraordinaires, et le travail de Sigrun Ulfarsdottir, la styliste islandaise à qui fut demandé de proposer ces peaux de poissons à des créateurs susceptibles d'inventer un "art de faire", et des accessoires inhabituels.

Un produit "nouveau" adopté par les créateurs de mode 

Fridrik Jonsson tannait des peaux d'agneau pour en faire des vestes quand il entendit parler du cuir de poisson. Pendant six ans il se livra à des expérimentations avec différents types de peaux de poissons et il semble qu'actuellement son choix se soit porté sur trois types de peaux - le loup de mer, le saumon et la perche du Nil. En 1996, il crée sa société Sjàvarleùur et en 1999 il fait la connaissance de Sigrun Ulfarsdottir, qui travaillait alors comme designer d'accessoires à Paris.
Heureuse rencontre : en février 2001, leurs créations défilent sur le podium de Christian Dior et le petit sac rose de la collection automne-hiver 2002 de Christian Dior, en peau de poisson, issu de leur création se vend au prix de 1.900 euros.
Le duo a développé une stratégie de marketing ciblée sur les jeunes designers underground d'Europe que les grandes maisons de mode, à la recherche des nouvelles tendances, suivent attentivement des yeux.
Ils ont inondé ce petit marché de cuir de poisson qui a été instantanément adopté. Et depuis 2001, l'entreprise a reçu à la fois des commandes de Prada, de John Galliano pour Christian Dior, de La Perla et de divers designers indépendants et influents.
Février 2005
Par Yves CALMEJANE

De l'ethnographie du poisson à l'objet de luxe, un autre regard
Du 1er février au 16 mai 2005
CCSTI de Lorient / Maison de la Mer
1, avenue de la Marne - 56100 Lorient
02 97 84 87 37 -

www.ccstilorient.org

A noter : le 3 mai 2005 à La Thalassa :


Un poisson nomméTendance
L'histoire du collier ou du sac à main très tendance qui commence en Islande, où Fridrik Jonsson met au point des méthodes de tannage pour exploiter les déchets de poisson. Aujourd'hui, les cuirs de poissons sortis de son usine sont utilisés par les créateurs et les grands couturiers européens.
Une conférence animée par Sigrun Ulfarsdottir, créatrice, styliste et représentante en France d'Atlantic Leather et Unnur Ramette, attachée de l'Ambassade d'Islande.