Mexique-Europe : Point d'orgue de "Lille Capitale de la Culture 2004"
la richesse des échanges artistiques entre le Mexique et l'Europe
"Il y a 20 ans que les plus grands musées essayent de monter cette exposition !" souligne Serge Fauchereau, commissaire général de l'exposition "Mexique-Europe, Allers-Retours, 1910-1960", fleuron de la dernière saison de cette année exceptionnelle pour la métropole lilloise.
Ce privilège a été obtenu sur la promesse faite aux grands collectionneurs, au Ministère de la culture du Mexique et à l'Instituto Nacional de Bellas Artes de Mexico, de la présenter ensuite au Mexique. Elle sera donc visible au Palacio de Bellas Artes début 2006.
A cette condition, 25 collections ont quitté le Mexique pour retrouver en terre nordiste les pièces provenant de 37 collections européennes et de 6 collections nord-américaines. Le musée détenant déjà dans son fond permanent les œuvres de 8 grands artistes mexicains.
Au total 289 œuvres plastiques et 113 œuvres en vitrine (gravures, livres, revues) représentent la richesse des échanges artistiques entre le Mexique et l'Europe et l'immense diversité de l'art mexicain entre 1910 et 1960.
Découvrir le muralisme, "une tradition perdue mais très ancienne"
Les visiteurs ont notamment la chance de pouvoir admirer des fresques murales qui ont traversé l'Atlantique selon un protocole qui laisse rêveur.
Les fresques ont été désencastrées de leurs murs et conditionnées entières (jusqu' à 2 tonnes en seul morceau ), qu'il a fallu ensuite transporter par avion jumbo spécial à ouverture latérale. Ces pièces uniques ne passaient pas par le sas d'ouverture arrière des gros porteurs ! Des spécialistes mexicains de la restauration sont venus les installer à Villeneuve d'Ascq et leur feront faire le chemin inverse en janvier 2005.
Mais ces fresques étaient particulièrement importantes aux yeux de Serge Fauchereau. Le muralisme s'est en effet richement déployé au Mexique sur un terreau fertile : "Si le muralisme a si bien marché au Mexique c'est parce qu'il s'agissait d'une tradition perdue mais très ancienne" explique t-il.
Le chef de file de ce mouvement artistique est Diego Rivera, également connu comme grand propagateur des idées portées par la révolution mais aussi pour ses rapports d'amitié et de rivalité avec Picasso et pour sa longue relation avec Frida Kalho.
Des trajectoires artistiques originales
Le muralisme naît de la volonté croisée du gouvernement mexicain et de peintres de créer un art national accessible à tous.
Diego Rivera, David Alfaro Siquieros, José Clemente Orozco, ainsi que Roberto Montenegro ou le français Jean Charlot vont participer à cette aventure extraordinaire et décorer un grand nombre de bâtiments publics. A la fin des années 1920 et au début des années 1930, les plus grands muralistes travaillent beaucoup aux Etats-Unis, invités ou exilés pour des raisons matérielles ou politiques. Ils influencent de nombreux artistes américains comme Jackson Pollock, Ben Shahn ou Philip Guston.
"On regrette souvent que la politique se mêle de création artistique, mais dans le cas des artistes mexicains, ce sont bien eux qui ont voulu intégrer les arts à la politique" lit-on dans le superbe catalogue de l'exposition.
Le muralisme a perdu sa position hégémonique dans le paysage culturel mexicain pendant les années soixante. C'est le succès des moyens de communication de masse qui en fut la cause. Il devint beaucoup plus raisonnable pour l'Etat, qui en avait été le mécène, de faire appel à la propagande que pouvaient lui fournir le cinéma, la radio et la télévision que de se donner une image de marque par le biais de la peinture murale.
Le stridentisme réclame vitesse et couleurs éclatantes
Alors que la révolution a bouleversé le pays, se développe aussi un mouvement qui rassemble à la fois des écrivains, des artistes, des musiciens. A la fin de 1921, le poète Manuel Maples Arce lance "Actual, feuille d'avant-garde et comprimé stridentiste" à Mexico. C'est le premier manifeste avant-gardiste d'Amérique Latine.
Le stridentisme réclame vitesse et couleurs éclatantes, il chante le cosmopolitisme et le machinisme. Ce mouvement veut conjuguer la spécificité locale mexicaine- sans nationalisme- et un modernisme universel. Maples Arce sera vite rejoint par d'autres stridentistes enthousiasmes tels les peintres Fermin Revueltas, Leopoldo Mendez, Ramon Alval de la Canal. Le stridentisme n'a guère duré qu'une demi-douzaine d'années, mais son bilan n'est pas mince : masques stridentistes de Cueto, dessins d'Alva de la Canal d'une grande inventivité, peintures de Leal, Revueltas, Charlot, ces derniers ne délaissant pas pour autant leur travail de fresquistes.
Le prisme des relations avec l'Europe
Largement méconnu, l'art mexicain du début du 20ème siècle est issu de la révolution et encouragé par la commande publique. Profondément populaire, il traduit le redressement du pays et la libération de tout un peuple. C'est sans contrainte que les artistes purent alors s'exprimer. Des femmes et des hommes qui, par ailleurs, voyageaient un peu partout en Europe et notamment en France et entretenaient des liens particuliers avec des artistes comme Modigliani, Van Dongen, Picasso ou Lipchitz, très présents dans la donation Masurel, à l'origine du musée d'art moderne de Lille-métropole à Villeneuve d'Ascq.
Plusieurs de ces artistes mexicains séjournent longuement à Paris et débarquent en pleine ébullition artistique : 1910 est l'année de la révolution au Mexique ; en Europe, c'est la période où Paris est célébrée comme capitale internationale des arts.
Arriver en plein fauvisme ou en plein cubisme cause un choc violent aux nouveaux venus et les remet en question. Ainsi Diego Rivera s'installe à Paris en 1911 et y séjournera durant 10 ans. Il prend une part active à la scène avant-gardiste.
Nourris d'avant-garde européenne, ils vont créer, de retour dans leur pays, un art totalement nouveau.
Les peintres du vieux continent vont puiser l'inspiration au Mexique
L'enrichissement est réciproque car dans les années 40, ce sont les peintres du vieux continent qui vont puiser l'inspiration au Mexique. Dans la mouvance du surréalisme, des peintres comme Rufino Tamayo, Frida Kalho ou Maria Izquierdo offrent des œuvres très fortes et très originales. Ce mouvement est enrichi par l'arrivée d'écrivains voyageur, tels André Breton et Antonin Artaud fuyant les évènements européens. Wolfgang Paalen, originaire d'Autriche, Remedios Varo, d'Espagne ou Leonora Carrington, du Royaume-Uni vont transformer leur art au contact du Mexique.
1960 consigne la fin de la créativité muraliste, largement amorcée dès les années 40. A partir des années 50, d'autres artistes aux sensibilités très différentes, Alberto Gironella, Vlady, Pedro Coronel, José Luis Cuevas, Manuel Felguérez vont par ailleurs réagir contre les normes fixées par les muralistes et incarner l'avènement d'une génération d'artistes, dits de la rupture, qui développent des expressions très diverses et, s'affranchissant de la dimension nationale alors attachée au muralisme, reprennent le chemin de l'Europe.
L'essence de la mexicanité
Passionnante, l'exposition met aussi en lumière plusieurs thèmes, révélant par exemple, le travail de femmes artistes contemporaines de la désormais célèbre Frida Kahlo. Ses œuvres ainsi que celles de Maria Izquierdo, constituent, selon une approche très différentes, deux des axes majeurs du surréalisme mexicain.
La gravure, par l'importance de sa diffusion et sa veine truculente ou macabre, apporte aussi son éclairage. Le visiteur, découvrant cette avalanche d'images, dont la très emblématique gravure intitulée "la Cavalera Catrina" (la tête de mort bonne vivante) de Guadalupe Posada, y saisira l'essence de la mexicanité.