Viktor & Rolf : La boutique à l'envers, le vêtement à l'endroit
Victor & Rolf sens dessus dessous
Flânant sur la très chic Via Sant Andrea, l'équivalent de notre Avenue Montaigne, en se laissant aller à la rêverie, l'élégante contemporaine ne pourra pas manquer la boutique Victor & Rolf. Le premier soupçon vient en ouvrant la porte : elle est montée à l'envers ! La poignée est étonnamment haute, surplombée d'un paillasson aux insignes de la maison. Mais les aficionados auraient pu déjà prédire ce "phénomène renversant" si elles avaient assisté au dernier défilé Printemps/ Eté 2006 baptisé "Upside down", qui s'ouvrait sur... le final !
Une fois le seuil franchi, elle marque un temps d'arrêt : un monde nouveau s'ouvre à elle. Un monde où le parquet est au plafond, où les chandeliers en cristal poussent hors du plancher, où les glaces et bouquets de fleurs sont têtes en bas, les cheminées en altitude, où les chaises pendent et les escarpins lévitent... Le décor néoclassique gris et doré fait le poirier. Tout est parfaitement symétrique et millimétré. Seuls quelques détails ont du rester "à l'endroit" comme les vêtements, les cabines d'essayage et les "cuisses enregistreuses" comme aurait pu les appeler Marcel Duchamp en les voyant.
Comme dans un rêve...
Nos repères sont déstabilisés. Mais pas à pas l'œil s'adapte à ce retournement de situation, un lieu vertigineux et déconcertant où rien ne ressemble à ce qu'il devrait être, sorte de vision hallucinogène. L'illusion se devait d'être efficace, elle l'est.
Il est probable que l'homme ne s'est jamais satisfait du monde réel et qu'il a toujours voulu s'en créer d'autres à la mesure de son imagination. "Depuis que nous sommes petits garçons, la mode a toujours eu pour nous une place magique et glamour" précisent les couturiers. Pour leur première boutique, ils ont voulu donner une nouvelle perspective au néoclassicisme, comme l'avait déjà ordonnancé Christian Dior pour son magasin de l'Avenue Montaigne à la fin des années cinquante.
Le néoclassicisme à l'honneur
Victor & Rolf ont fait appel à un second binôme : Siebe Terrero et Sherrie Zwail, respectivement architecte et designer. Ces derniers ont conçu un lieu adapté à la philosophie du tandem : "tordre les éléments traditionnels et les faire se heurter". On est loin des concept-stores d'Armani, le néoclassicisme clinquant et sophistiqué est de mise. Un choix voulu pour incarner un décor reconnaissable et familier. Pilastres, voûtes, corniches... autant d'éléments qui au XVIIIe décoraient les palais et hôtels particuliers de l'aristocratie. Les demeures étaient chargées de meubles sinueux, de tapisseries, de porcelaines maquillées d'or et de fleurs... Des décors inspirés des recueils d'ornements qui ont fait le tour de l'Europe. Le classicisme revisité confère à la boutique une dimension fantasmagorique, un lieu de tous les possibles. Palais de l'insolite où l'on vient s'affubler d'opulentes toilettes envahissantes. On se prélasse sur les arcades capitonnées. On s'extasie devant les chandelles à l'antique. On imagine les mannequins comme d'étranges personnages venus des coulisses de la Scala de Milan. Sur la scène du théâtre Victor & Rolf, on incite au "language des rêves" psychotrope adoré du peintre Chirico. La nuit tombée, la boutique se transforme en galerie des glaces. Les lumières se reflètent au hasard des miroirs dans un exquis désir magnétique. La réalité se suspend un instant.
Première d'une longue lignée?
Les Inséparables aspiraient à un lieu qui distille leur image comme leurs collections : un "déconvenu" construit. Cette boutique est aussi une étape importante pour la marque. La commercialisation de leurs habits-sculptures, du prêt à porter homme et femme et des accessoires, est un préambule à l'ouverture des prochaines boutiques à travers le monde.
L'Alice d'aujourd'hui a trouvé son pays des merveilles. Elle retrouve les rues de Milan les idées sans dessus dessous et les mains pleines de sacs estampillés du célèbre V&R : convertie. N'était-ce pas l'effet recherché ?
Marie Farman
Cet article est paru dans ENJOY n°1