(@gabvizza). " />

A La Une


Le vin Par Gabrielle Vizzavona (@gabvizza)




L’art des Vins anciens : L’histoire du silex et du galet

François Audouze et Gabrielle Vizzavona

François Audouze
, l’un des plus grands collectionneurs de Vins au monde, organise plusieurs fois par an des dîners dédiés aux amateurs (et détenteurs) de vins anciens. Au détour d’une conversation, une personne lui avait avoué qu’il mourrait avec sa bouteille de Haut Brion 1949 car il ne connaissait personne avec qui la partager (et qui serait susceptible d’apprécier à sa juste valeur une telle bouteille). François Audouze a alors décidé de créer les conditions optimales de dégustation et de partage de tels flacons en créant l’académie des vins anciens. Ainsi, les passionnés de vins anciens peuvent se réunir deux fois par an en partageant leurs bouteilles anciennes, chaque participant amenant une bouteille. Une bonne vingtaine de vins exceptionnellement rares et très âgés (de 40 à plus de 100 ans) sont dégustés à chaque table lors des
dîners de l’académie des vins anciens.

François Audouze

Ces vins, François Audouze les a achetés pour les boire, pas pour les faire vieillir. Aucun vigneron ne destine ses vins à être bus dans 80 ans ! Mais c’est au hasard de ses achats, toujours réguliers, passionnés et précis que sa collection a atteint plus de 40 000 bouteilles dont 5 000 de vins (très) anciens, avec un passif de 5 000 bouteilles déjà dégustées et ouvertes selon une technique qu’il a développé (vidéo ci-dessous).



Selon François Audouze, un vin peut raconter des choses pendant plus de 150 ans. Comme il le dit, quand on boit un vin jeune, c’est un silex, aux arêtes anguleuses, au caractère frontal. Un vin ancien est un galet. Tout y est coordonné. On a une synthèse du vin à laquelle on ne peut accéder dans sa jeunesse.

Vin ancien

Que se passe-t-il quand on a tant de recul sur la dégustation de vins anciens, y-a-t-il des effets de cycles ?

François
remarque un cycle par décennie. Une sorte de Juglar du vin ! 1920 ? Une décennie extraordinaire, qui s’explique pour François par le fait que les pieds étaient à leur apogée après leur plantation post phylloxera environ 40 ans auparavant. Les années 30 ? Une décennie froide. 40 ? Une fin exceptionnelle. Et ainsi de suite.

Un cru datant de 1929

Ce qui frappe pendant les dîners de l’académie, c’est la manière dont nous pouvons tous être surpris par la jeunesse gustative de certains vins. Un Latour 1924, au dernier dîner, saisissant de forme. Francois précise que « le vin a une longévité supérieure à ce que l’on peut attendre. Le vin est un produit solide ». Sur autant de temps, les micro-différences, naturelles et imperceptibles, entre les bouchons, vont faire la différence d’une bouteille (qui sera splendide) à une autre (qui sera fatiguée ou oxydée).

Bouteilles de vins anciens

Sa vision du vin (et l’esprit de l’académie), est basée sur le partage et la curiosité : « Avoir une attitude humble, recevoir le message du vin plutôt que de le juger ». Une perspective culturelle aussi, on apprend sur soi. Comme pour la musique, le vin ouvre des portes, il déchiffre des choses impalpables, il enrichit.

Devant ces vins qui ont glissé sur le temps, nous nous sentons tous bien désarmés, frappés de mutisme en songeant à l’histoire que peuvent contenir Champagne Chauvet 1914, Margaux 1923, Haut-Brion 1943, Latour 1924, Lafite 1958, Gevrey Chambertin 1923, ou encore Château Myrat 1937

Qui ne se sentirait pas fébrile… ?

Quelques notes de dégustations des Vins anciens :


Champagne Chauvet en magnum, 1914
 : Un nez balsamique, à peine oxydé, encore tellement frais, un caramel en bouche, une couleur ocre profonde.

Chauvet Brut 1914

Château Bel Air Marquis D’Aligre 1961 : Au nez, une confiture de fruits noirs, une bouche d’une vivacité prenante, profonde, longue. Fabuleux. Une dissociation nez/bouche très flatteuse, le fruit, confituré fait place à beaucoup de vie.

Château Bel Air Marquis D'Aligre 1961

Château margaux 1923 : Des notes de cuir au nez, une beauté presque orientale, aux tanins de taffetas.

Latour 1924
: Les tanins sont encore bien présents, une expérience vraiment surprenante de trouver tant de jeunesse à plus de 90 ans !

Château Latour 1924

Vouvray Sec pétillant 1964 : Des notes d’amande amère, de pâtisserie, d’oranges confites, une matière dense.

Vouvray 1963









Avril 2015
A propos de l'auteur :



Gabrielle Vizzavona est une experte en œnologie et économiste diplômée de l'ENS. Elle est conférencière sur le thème du Vin, consultante pour de nombreux domaines et régions viticoles en France et à l'étranger, et intervient comme maître de conférence dans de grandes écoles de commerce et d'hôtellerie. Vous pouvez suivre Gabrielle sur Twitter: @gabvizza , sur Facebook: Gabrielle Vizzavona, et retrouver plus d'informations sur son site internet: www.gabriellevizzavona.com