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Musée d’Orsay : la Mort en liberté

Ce n’est pas la qualité des œuvres qui doit vous attirer dans l’irrésistible exposition « L’Ange du Bizarre » qui ouvre ce mois-ci au musée d’Orsay, mais son atmosphère étouffante, angoissante, mortifère, pleine d’ombres, de corps dépecés, de fantômes errants, de sorcières avinées et de cauchemars hantés, veillés par des gardiens que l’on pourrait croire fantômes eux-mêmes en dépit, ou à cause, de leur déambulation silencieuse… La Mort, peinte, gravée, photographiée, sculptée, s’invite ici en héroïne, loin des interdits religieux, loin des bénédictions et des paradis, personnage principal de nos angoisses et narrateur de notre part d’irrationnel.
Le pont et le gouffre

La figure du pont et de son contraire, le gouffre, ouvre l’exposition avec un extrait du Nosferatu de Murnau : « Quand (Jonathan) eut passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre ». Le ton est donné, d’abord avec une magnifique collection de Füssli que l’on voit rarement rassemblée et qui traite toute du cauchemar, suivie d’une magnifique série de tableaux et gravures de William Blake représentant un Satan protéiforme et dominant le monde. Les paysages vides ou nocturnes déshumanisés du grand romantique allemand Caspar David Friedrich ne réconcilient pas avec la vie non plus, mais nous aspirent dans une mélancolie sans fond... Comme on peut le constater, ces premières salles sont dévolues aux « inventeurs » anglais et allemands du genre « frénétique », qui s’appellera ensuite « gothique », et représente dans son excès et son amour du « noir », la rébellion des artistes contre les débuts d’une science tautologique qui a la prétention d’expliquer l’homme tout entier par le rationnel.

L’homme découpé

Le second film qui attend le contemplateur est le Frankenstein de James Whale, et plus précisément l’extrait de la création d’un homme à partir de morceaux de cadavres, rêve insensé, prométhéen et sacrilège d’un savant fou - encore la science comme apprenti-sorcier, et l’imaginaire « noir » comme garde-fou ! Têtes de Méduse, sabbats de sorciers et de cannibales dévorant des corps dépecés, gravures noires de Goya, noirs de Redon, encres de Victor Hugo, sabbats et chauves-souris de Delacroix, Dante et Virgile aux Enfers de Bouguereau, et Radeau de la Méduse de Géricault, Gustave Moreau avec sa Débauche ou ses Sirènes, voici à l’œuvre la deuxième génération romantique, emmenée par les derniers vers des Fleurs du Mal de Baudelaire : « au fond de l’Inconnu pour trouver du Nouveau »…

La forêt selon Max Ernst

La dernière partie de cette exposition de l’étrange, qui comprend même quelques photos sado-masochistes assez perturbantes de femmes attachées en tous sens, est un hommage aux Surréalistes. Mais surtout à Max Ernst, dont les forêts, comme celle de Blanche-Neige mais sans « happy end », adoptent des formes hostiles, voire même humaines, qui font irrésistiblement penser aux Métamorphoses d’Ovide et à Daphné implorant Diane de la protéger des avances marquées d’Apollon ! Bon choix que cette forêt comme piège et enfermement imparables, tant il est vrai qu’il est difficile de s’extraire de la dernière salle pour retourner dans le monde « non bizarre », comme si l’exposition nous avait embarqués dans une parenthèse enjôleuse malgré la fumée des chaudrons, les odeurs de chairs calcinées, les cris des suppliciés et le chant des sirènes…
Mars 2013
Par Colette Juillard
Musée d'Orsay
www.musee-orsay.fr