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Les écrivains et Rolls-Royce

À l’époque du roi Édouard VII, Charles Stewart Rolls, ingénieur aristocrate, et le mécanicien Frederick Henry Royce, fondent Rolls-Royce. Dans le monde entier, c’est l’automobile de luxe, aussi chère qu’un aéroplane avant la Grande Guerre. De Hollywood aux pétromonarchies, les Rolls-Royce ont fait rêver les princes, les nababs… et les écrivains.

Les mondanités et les premiers modèles

Charles Stewart Rolls et Henry Royce, assis à l'arrière en 1904

Au cours des années folles, Rolls-Royce devient le symbole de la richesse. Chez Marcel Proust, on roule, à l’occasion, avec chauffeur, mais à l’heure anglaise. Dans le roman « Albertine disparue » (1925), le héros veut offrir à Albertine rien de moins qu’une « Rolls », et un « yacht ». Hélas, la pauvre chérie n’aura ni l’une ni l’autre. Dans un autre roman, « À l’ombre des jeunes filles en fleurs » (1919), les « amis » de la famille, « plus spirituels et plus distingués », ont la chance de monter à bord de « leurs belles Rolls-Royce ». Côté scène, Sarah Bernhardt évoque le constructeur dans son roman « Joli sosie » (1920). Elly Gordon Hope, jeune Américaine milliardaire, mène la dolce vita. Dans une villa à Rome, elle arrive en Rolls-Royce, et les serviteurs s’empressent autour de la blonde héritière.

Le surréalisme et les vertiges automobiles

Après la Grande Guerre, les surréalistes aiment les belles carrosseries, tout comme les femmes. Amateur de voitures de luxe et propriétaire d’une Rolls vert métallisé, Francis Picabiarêve, pour son « Jésus-Christ rastaquouère » (1920), parle d’une « automobile artistique » avec du « bois rose », des «pneumatiques en acier » et des « billes en caoutchouc », qui soit « une Rolls-Royce ». De son côté, avec un charme suicidaire, Jacques Rigaut déclare dans le « Roman d’un jeune homme pauvre » (1921) : « Chaque Rolls-Royce que je rencontre prolonge ma vie d’un quart d’heure. Plutôt que de saluer les corbillards, les gens feraient mieux de saluer les Rolls-Royce ».

Francis Scott Fitzgerald, Gatsby et consorts

Rolls-Royce Phantom I Ascot double capot Sport Phaeton de 1928, vendue aux enchères pour 185 200 $

Pour les écrivains de langue anglaise, la Rolls garde son charme. Francis Scott Fitzgerald mène la vie de château, avec Zelda. Durant l’été 1922, son héros millionnaire, Jay Gatsby, roule dans une Rolls « magnifique », de couleur « crème ». Du matin à minuit, avec ses amis ivres de joie, il rêve sa vie sur la route de Long Island. D’ailleurs, le cabriolet Phantom I Ascot double capot Sport Phaeton de Gatsby, joué par Robert Redford à l’écran, a été vendu aux enchères, à Greenwich, par la maison Bonhams, pour 238 000 dollars. L’autre grand amateur de jolies anglaises, c’est Rudyard Kipling, qui fait le tour de la France, avec sa femme Carrie, à bord de sa limousine… en location, durant les années folles.

La belle Anglaise et la mort

Spirit of Ecstasy, salon Rolls-Royce

Autre figure de la décadence, comme les icônes de la musique populaire, Serge Gainsbourg fait de la Rolls sa boîte à
fantasmes dans sa chanson « Melody  » (1971). Il célèbre ses « ailes », le « Spirit of Ecstasy » et le « capot » d’une « Silver Ghost ». Le rêve de l’artiste est d’être « écrasé », dans une rue de Paris ou de Londres, par une « Rolls ». Homme de voyages et d’expériences, Henri Michaux, lui, regrette dans « Passages  » (1950) le temps des névroses automobiles : « quand les autos penseront, les Rolls-Royce seront plus angoissées que les taxis ».

Nicolas Grenier
Octobre 2017