Culture


Jack Daniel’s : L’icône des icônes par Gabrielle Vizzavona
Lorsque l’on m’invite à intervenir sur le marketing des spiritueux dans le cadre d’une conférence ou d’un cours, je présente souvent l’un de mes cas d’école préférés, celui de Jack Daniel’s... Lettre d'amour à la Maison Jack Daniel's par Gabrielle Vizzavona.
La Légende de Jack Daniel

Qui se cache derrière Jack Daniel ?

J’introduis toujours le sujet en annonçant à mon auditoire que je suis folle amoureuse de Jack Daniel, avant de préciser que cela n’est dû, ni à son physique - photo à l’appui, ce petit homme d’1m30 les bras levés, aux joues rondes et à la moustache fournie ne m’inspire pas de passion sensuelle- ni à son whisky – dont les entrées de gamme, produites en quantités stratosphériques (11 millions de caisses pour le black label) n’ont plus rien du Whisky d’artisanat que distillait Jack il y a 150 ans - .

Portrait de Jack Daniel

Si je voue un tel culte à Jack Daniel, c’est autant pour le génie visionnaire qu’il fût, à l’origine de nombreuses innovations essentielles sur les pratiques de distillation et sur le marketing, que pour son esprit libre et conquérant. La légende qu’il a construite, parfois au détriment de la réalité, vit encore aujourd’hui à travers une histoire qui ne s’est jamais essoufflée, et dont les codes enflamment l’imagination de millions d’adeptes qui vouent un culte à ce Whisky dont le slogan précise qu’il n’est « ni un Scotch, ni un Bourbon, juste un Jack ».

" Ni un scotch, ni un Bourbon, Juste un Jack..."

La légende veut que Jack Daniel (de son vrai nom Jasper Newton Daniel), naisse en 1850, date gravée sur sa pierre tombale. C’est cependant la source d’une première incohérence, nombre d’historiens attestant du décès de la mère de Jack en 1947… Il serait plus probable, qu’en réalité, Jasper Daniel soit né en 1846. Ces quelques années de différence servent le mythe de Jack Daniel, qui fait de lui un distillateur de renom dès l’âge de 16 ans, ce qui lui vaut le surnom de « boy distiller ».

La célèbre bouteille

Quittant sa famille à l’âge de 6 ans, avec seulement 9 dollars de biens en poche, le petit Jack est recueilli par Dan Call, le pasteur Luthérien d’une église de proximité, qui est aussi le propriétaire de l’épicerie locale de la petite ville de Lynchburg, Tennessee (à prononcer avec l’accent). Dans sa boutique, le pasteur Call vend le whisky qu’il distille, et inculque à Jack cet art délicat, pour lequel le jeune garçon se prend d’une passion qui durera toute sa vie. De nombreuses histoires racontent que Jasper Daniel rachète la distillerie de son mentor à l’âge de 16 ans, expliquant la mention « Maison fondée en 1866 » du fameux label. Aucun document ne supporte pourtant cette affirmation, et les premières traces d’enregistrement de la société auprès du gouvernement fédéral n’apparaissent qu’en 1875, année à laquelle Jack Daniel aurait eu l’âge, plus approprié à la boisson, de 29 ans.

Le célèbre logo de la marque

Conscient d’être l’ambassadeur et le visage de sa marque, Jack Daniel ne quittait jamais son long manteau gris, son costume trois-pièces, et son chapeau haut de forme, sachant qu’il devait être mémorable pour que son whisky le soit aussi. Ses premiers représentants furent d’un tout nouveau genre : il créa le groupe de musique le «Jack Daniel’s Silver Cornet Band », composé de dix membres, qui se déplaçait dans une calèche peinte du logo noir et blanc, offrant des concerts gratuits aux publics variés de réunions politiques, ouvertures de saloon, et célébrations de l’Independance Day. Une façon créative de la part du jeune Jasper de promouvoir son whisky. L’un des premiers à mentionner le nom de la distillerie sur des jarres, puis sur des bouteilles rondes customisées, le réel coup d’éclat de JD eut lieu en1895, lorsqu’un commercial lui présenta la désormais très célèbre bouteille rectangulaire qu’il adopta sans hésiter. Outre l’aspect pratique, qui empêchait les bouteilles de rouler et se briser lors des transports, cette forme renforçât encore l’image masculine, droite et authentique que souhaitait diffuser Jack Daniel’s.

Une campagne de publicité hilarante : " Paris a la mode, nous avons le whisky, désolé Paris... "

Distillateur de génie, Jack filtrait ses whiskies à travers trois mètres de charbon d’érable et utilisait une eau non ferrugineuse. C’est encore le cas aujourd’hui et c’est en grande partie la cause du goût unique, rond et reconnaissable aux notes prononcées de caramel et de vanille, tant apprécié du public.
Le « Old N°7 », son whisky emblématique a entretenu bien des spéculations et donna une dimension de mystère au précieux breuvage, laissant libre champ à l’imagination. Était-ce parce que Jack avait 7 petites amies ? Ou encore parce que son meilleur revendeur avait 7 boutiques de liqueur ? Le 7 était-il- son chiffre porte bonheur ? Les théories sont variées et la réalité bien moins romantique : la taxe fédérale à laquelle était soumis Jack sur la vente de ses whiskies était celle du district 7 du Tennessee. Lorsque le Internal Revenue Service (IRS) consolida les districts selon un nouvel ordre, la société fût réassignée du nombre 16. Ne voulant pas confondre ses fidèles clients, et souhaitant affirmer son indépendance, Jack conserva le chiffre 7 sur sa mythique bouteille.

Le chiffre 7 en évidence

Libre et philanthrope, Jack Daniel était un homme d’affaires puissant et dévoué à son travail. Contrairement à sa vie professionnelle, sa vie sentimentale ne fût pas une réussite, sa grande fierté ayant mis un terme à la brève relation qu’il entretint avec la seule femme qu’il aima sincèrement, et qu’il regretta toute sa vie.
Il connut une fin tragico-ironique; alors qu’il arrivait à ses bureaux aux aurores d’un matin de 1906, ne se souvenant plus du code de son coffre-fort, il y donna un violent coup de pied. La blessure que son geste lui infligea se transforma en gangrène qui le mena, cinq ans plus tard, à une mort prématurée.
Le neveu de Jack Daniel, Lem Motlow, à qui il transmit la société en 1911, s’avéra un brillant successeur et sut conserver et même renforcer l’esprit d’authenticité et de luxe créé par son oncle, malgré une période de prohibition particulièrement longue et stricte au Tennessee.

Lynchburg , Tennessee

Racheté dans les années 50 par l’entreprise familiale Brown Forman, la marque valorisa encore son image en faisant preuve de patience, et en appliquant ce qui allait devenir la stratégie de la rareté : la demande étant bien supérieure à l’offre, le groupe décida d’attribuer le whisky par allocations pendant presque vingt ans, plutôt que d’augmenter les quantités produites. Cela s’accompagna très adroitement d’intensives campagnes de promotion, diffusant les codes de Jack Daniel’s ; toujours en noir et blanc, montrant la simplicité des hommes du Tennessee, à contre-courant des publicités de spiritueux de l’époque, pleines de couleurs, d’aristocrates et de voitures de sport. Elles annonçaient qu’il n’y en aurait pas pour tout le monde « Nous préférons demander votre patience que de perdre votre respect pour notre whisky», intensifiant encore le désir des amateurs.

Une coupure de presse titrant " Nous préférons demander votre patience que de perdre votre respect pour notre whisky ".

L’image que Jack Daniel puis Brown Forman a développé est tellement ancrée dans l’imaginaire collectif, tellement archétypale, que le seul fait de montrer une bouteille dans le plan d’un film (Shining), d’une série (American dad) ou même d’un dessin animé (Les Simpson), y diffuse l’identité qui lui est associée. Marque adulée par les stars de toutes époques, Jack Daniel’s voit naître les premiers pas du « Celebrity endorsement », complètement spontané - et gratuit - à l’époque. Prix Nobels, présidents, acteurs et actrices de renom, chanteurs populaires de jazz ou de hard rock; nombreux sont ceux qui ont voulu associer leur image à celle du fameux Whisky.

Cuvée Frank Sinatra

Au fil du temps, Jack Daniel’s a préservé et adapté son statut d’icône de la culture Américaine, de quoi tirer son chapeau (haut-de-forme) et lever son verre (de whisky) à son père fondateur. Pourquoi pas un petit verre de la cuvée
Frank Sinatra de Jack Daniel’s, sortie cette année pour célébrer les 100 ans de la naissance du chanteur qui vouait un tel culte au Jack « le nectar des dieux », qu’il serait enterré avec une bouteille…?

Frank Sinatra, addict au Jack Daniel's

Par Gabriella Vizzavona
 



Octobre 2015
Jack Daniel's

A propos de l'auteur :



Gabrielle Vizzavona est une experte en œnologie et économiste diplômée de l'ENS. Elle est conférencière sur le thème du Vin, consultante pour de nombreux domaines et régions viticoles en France et à l'étranger, et intervient comme maître de conférence dans de grandes écoles de commerce et d'hôtellerie. Vous pouvez suivre Gabrielle sur Twitter: @gabvizza , sur Facebook: Gabrielle Vizzavona, et retrouver plus d'informations sur son site internet: www.gabriellevizzavona.com