Portraits


Studio Harcourt : Silence, on tourne... Moteur !

"A trois ans, ma mère avait fait réaliser un portrait de moi chez Harcourt" confie Pierre Antony Allard, en me faisant visiter les nouveaux locaux du studio Harcourt dans le 8ème arrondissement. C'est peut-être de ce souvenir d'enfance qu'est née l'histoire d'amour entre un homme et une marque, créée il y a près de 70 ans et en pleine renaissance actuellement. Dès les années 30, le studio Harcourt s'est rendu célèbre pour avoir su immortaliser les plus grandes vedettes du cinéma. Après une période de déclin dans les années 70, il renaît aujourd'hui de ces cendres grâce à son nouveau Pygmalion, Pierre Antony Allard.
Un univers de théâtre et de cinéma

Situé dans un hôtel particulier de la rue Jean Goujon, l'accès du studio ne se révèle qu'aux initiés.
En poussant la porte vitrée, on bascule dans un univers de théâtre et de cinéma, grâce à une belle mise en scène. Un long tapis rouge carmin déployé sur les marches de l'escalier permet au client d'être reçu comme une star. L'entrée rappelle les fameuses marches du Festival de Cannes. Il ne manque plus que le crépitement des flashs et la rumeur de la foule des spectateurs. Dans les studios, un grand rideau de velours rouge dévoile sur le côté, un immense portrait noir et blanc d'une Carole Bouquet sensuelle, plus vraie que nature, au décolleté vertigineux.

"I like your shoes..."

L'œil coquin et espiègle, un brin cabot, avec un air à la Roberto Bellini et une coiffure rebelle, Pierre Antony Allard me reçoit, un sourire accroché aux lèvres. La silhouette dégingandée, cravate défaite portée comme un foulard, il vit dans un monde d'artiste. D'entrée de jeu, je remarque ses chaussures bicolores, noires et blanches, "des Bowen," confie-t-il avec une pointe de fierté, en y ajoutant une petite anecdote étonnante qu'il a plaisir à raconter. "Il y a quelques années, alors que je réalisais un reportage photo au Bristol pour le comité de Georges Bush père, celui-ci, à la sortie de la séance de photos passe devant moi, revient sur ses pas et me dit "I like your shoes..."
L'athmosphère est créée, on peut tourner...

Le studio, et son ambiance de mystère créée par les projecteurs Fresnel

Car ici le cinéma règne. Le maître des lieux me fait visiter son "antre". Après l'entrée hollywoodienne, une vaste pièce à l'atmosphère des années 30 affiche une galerie de portraits célèbres, en noir et blanc. Simone Signoret, Jean Réno, Johnny Hallyday, César, et bien d'autres, sont ainsi immortalisés dans leur expression la plus intime, nous dévoilant beaucoup d'eux-mêmes.
Mais, au fond, une pièce sombre attire le regard. Décorée longitudinalement d'autres portraits en noir et blanc, c'est la reconstitution de la chambre noire de l'époque; les clients viennent y visualiser leur "planche contact". Un moment important où un certain cérémonial apporte une part d'émotion et d'élégance lors de la remise du portrait.
Puis vient le saint des saints, le studio à proprement parler, où règne une ambiance de mystère, accentuée par des projecteurs Fresnel au repos : "La Rolls Royce des projecteurs" - me confie en murmurant Pierre Antony Allard." C'est le physicien français Fresnel, qui, en inventant les puissantes lentilles des phares, a révolutionné le cinéma. Auparavant on cherchait du modelé pour recréer un relief qui n'existait pas. C'est par cette invention, qui concentre la lumière grâce à un système de loupes, que tous les studios d'Hollywood ont été si longtemps alimentés."

L'éclairage Harcourt

La visite se termine par la salle de maquillage, qui jouxte le studio, et étonne par ses couleurs - entre le rouge carmin et l'orage safrané - et ses miroirs dorés. "J'ai voulu recréer l'ambiance du film La Belle et la Bête dans cette pièce, révèle Pierre Antony Allard, et rendre un hommage aux artistes, notamment à Jean Cocteau et surtout à mon maître, Henri Halkan, le chef opérateur qui m'a tout appris."
Avec verve et passion Pierre Antony Allard évoque ensuite son histoire si intimement liée à celle du studio Harcourt.
Son destin est scellé, lorsque en 1981 - il a 21 ans - il fait engager sa sœur dans le célèbre studio photo, afin de mieux s'en rapprocher par la suite. Passionné de cinéma et surtout d'éclairage cinématographique, Harcourt le fascine déjà par sa maîtrise de la lumière qui évoque une certaine époque. Pour lui, l'éclairage Harcourt était celui que les chefs opérateurs avaient enseigné aux photographes.

"Une formidable occasion pour moi d'apprendre la lumière"

"J'ai vu dans Harcourt l'essence de ce que j'aurais pu faire à l'Idhec dans le cinéma et une formidable occasion pour moi d'apprendre la lumière." En 1983, il réussit à faire croire au directeur du studio, qu'il est un as de l'informatique pour se faire recruter. Quelle déception, lorsqu'il se rend compte que la lumière utilisée pour les portraits reste le flash.
Heureusement, le photographe du moment part en 1984 donnant ainsi à Pierre Antony Allard l'occasion de réaliser sa première photo après de multiples essais. Mais très vite des conflits avec le directeur l'amènent à prendre les devants et à partir avant d'être licencié.

Harcourt racheté 421.000 francs par la vente à la chandelle

Mais il tourne autour du studio comme un papillon autour de la flamme. Après qu'il y eut effectué un deuxième aller-retour entre 1987 et 1990, le studio finit par faire faillite fin 1990 et pendant un an, la société reste chez un liquidateur.
"En octobre 92, un matin, je me suis réveillé en sachant que je devais racheter le studio. Ce qui me fascinait dans cette marque, c'était sa signature que l'on n'avait pas le droit de laisser disparaître."
Pierre Antony Allard avait déjà anticipé l'avenir du numérique qui autoriserait tout un chacun à faire ses propres photos. Il a eu l'intuition que cette orgie d'images permettrait au Studio Harcourt de redevenir une marque de lumière incontournable, une image d'élégance, d'authenticité qui retrouverait tout son prestige au 21ème siècle.
Il décide donc de reprendre la marque, et avec l'appui de deux associés, il l'acquiert à la vente à la chandelle pour 421.000 francs, le fond Harcourt étant cependant vendu au patrimoine cinématographique. Le journal Libération y consacre un grand article, partageant la page avec celui des Galeries Lafayette ouvrant un magazin sur la Place Rouge à Moscou... Il n'en revient pas.

Une idée lumineuse : le studio ambulant

De 1993 à 2000, il doit donc créer une nouvelle vitrine pour attirer les clients, et développer de nouveaux moyens d'expression pour faire vivre la maison. Le cinéma étant au centre de son univers, il s'en inspire pour développer Harcourt.
"En 1998, j'ai eu l'idée lumineuse d'introduire la photo en extérieur avec un studio ambulant." acteurs, chanteurs, starsde cinéma, joueurs de tennis, pilotes automobiles, se retrouvent donc capturés dans sa boîte magique, sur les lieux de leurs exploits. C'est ainsi que l'on retrouve le portrait d'Hakinnen avec sa casquette sur un des murs du studio. Il reprendra d'ailleurs ce concept pour le développer en 2004.

Changement de propriétaire

En trois ans il devient autonome, mais en l'an 2000, le spectre de nouveaux investissements se fait sentir. Il a besoin de moyens supplémentaires.
Son ambition restant toujours aussi ferme il lui faut encore trouver des investisseurs afin de hisser Harcourt à la hauteur de l'imaginaire de tout un chacun, à la hauteur de son mythe.
Ses premiers associés ne suivant pas, il finit par rencontrer Anne-Marie de Montcalm, l'actuelle et propriétaire, qui rachète leurs parts. Possédant déjà elle-même une boutique de photos, elle avait aussi la volonté de s'inscrire dans l'évolution d'Harcourt. C'est à la même époque, qu'il réalisera chez lui, sous les toits de rue de Lisbonne, la pochette du disque de Patrick Bruel, qui le mettra enfin et à son tour sous la lumière des projecteurs.

Harcourt, la Haute Couture cinématographique

Si on lui demande aujourd'hui comment il définirait Harcourt, il répond : "C'est de la Haute Couture cinématographique, un temple, une signature, qui ne tient à 90% que par la lumière, et la seule qui existe à l'international en tant que marque d'image."
C'est pourquoi, il veut capitaliser cette bulle de rêve, de poésie, de délicatesse et de tendresse.
Cette poésie que l'on retrouve d'ailleurs dans tous les portraits présents sur les murs du studio et qui, selon lui, ont gardé dans l'intimité de leur jeunesse, la force des images Harcourt dans les cinémas d'antan."Je suis en quelque sorte le déclencheur. J'apporte une part de rêve, grâce à cette marque qui est si liée au cinéma."
Ces icônes ont été "regardées" grâce à Harcourt qui a fixé et immortalisé certains visages d'actrices et sans aucun doute ancré leur réussite ou leur succès professionnel.
Même Johnny Hallyday lui a confié qu'il rêvait des photos Harcourt quand il était petit.
Tout est affaire d'intuition et de sens artistique dans la sculpture de la lumière. Comme il le dit lui-même, "Harcourt a un pouvoir. Mais je travaille avec le risque en n'ayant pas de seconde chance. En trois clics tout doit être fait et à la hauteur des espérances de mes clients."

Harcourt Actualités : Silence on tourne !

Aujourd'hui son rêve, et sa bataille, se poursuivent autour d'un nouveau concept - déjà expérimenté en 1998 - et qui va s'intituler Harcourt Actualités.
Il consiste à associer le portrait en noir et blanc d'un personnage à une photo mise en scène en couleur, qui le rétablit dans le présent. "Je vais sur place avec mon studio mobile, environ 300 kg de matériel, et je mets en scène les personnes en racontant leur histoire dans ce que j'appelle l'esprit des lieux. Je restitue ainsi l'actualité dans un certain cadre, mais en même temps dans l'authenticité, car ces personnages restent dans leur univers."
"Ces photos issues des mêmes techniques ne deviendront en aucun cas des plans serrés couleur. Ils resteront toujours une mise en scène cinématographique."
Dans ses albums qu'il montre avec fierté on retrouve les plus grands dans la plus grande diversité et dans leur cadre : Ted Turner, La Duchesse de Luxembourg, Pierre Cardin, les Professeur Montagné ou Jacob, Rania de Jordanie, Shimon Perez, le couturier Kenzo, Ken Russel dans son théâtre, le fils du grand couturier Zegna etc.
Son secret consiste à tout préparer en amont, pour ne mobiliser la personnalité que 2mn30, le temps du tournage. A lui de préparer toute la mise en scène.
Son mot de la fin : "Tout ce bagage cinématographique, je le mets au service de la marque Harcourt."
Silence, on tourne : moteur !
Mai 2006
Par Katya PELLEGRINO

Studio Harcourt
10  rue Jean-Goujon
75008 Paris


 


Tarif pour un portrait :1.900 € TTC
Comprenant une séance de maquillage et une photo 24x30 choisie parmi 30, retouchée et présentée dans une marie-louise (cadre), le tout réalisé sous 3 à 4 jours.