Portraits


Victoire de Castellane, une Pie Voleuse chez Dior

Mai 2006, Victoire de Castellane lance sa dernière collection de joaillerie, intitulée Diorette. Des brassées de fleurs des champs, visitées par des coccinelles et des papillons, poussent place Vendôme. Ce petit monde frais et printanier ira avec toute notre garde-robe, et rappelle nos babioles d'enfance en plastique. Sauf que ces bijoux-là sont en pierres et en or véritables. C'est d'ailleurs peut-être pour cela que les bijoux de Victoire nous plaisent tant : ils auraient de quoi faire les fiers sur leurs luxueuses montures, mais ils ne se prennent pas du tout au sérieux.

Pas de pitié pour les bijoux


Or c'est ainsi que l'on aborde d'ordinaire la haute joaillerie : avec des pincettes et des courbettes, dans un chuchotement révérencieux, et quasi muet lorsqu'on ose en demander le prix. Mais à trop respecter ces œuvres d'art minérales, on n'ose plus les porter à plus d'un mètre de leur présentoir. Victoire, elle, aime les bijoux depuis toujours. Enfant, elle fondait ses médailles de baptême pour en faire des bagues, customisait et accumulait ses breloques de fillette. Inutile de dire que, pour elle, les bijoux manquent singulièrement d'éclat au fond d'un coffre-fort.



Un peu de fantaisie dans ce monde d'or brut


En prenant la direction du premier département haute joaillerie de la maison Dior, en 1998, la belle impose d'emblée son style. Rompue à la "fantaisie" - elle créait depuis 14 ans les bijoux ainsi nommés chez Chanel - elle décide d'en injecter dans cet univers codifié au carat près.
Femme à bijoux, elle refuse de les manipuler avec trop de déférence. "Les traiter avec désinvolture, c'est la plus belle confiance qu'on peut leur faire", assure-t-elle.
Elle ne craint donc pas de les cogner, de les rayer, de les porter dès le matin, comme le faisait sa splendide grand-mère Sylvia Hennessy. À l'époque on s'en choquait, mais aujourd'hui le bijou s'affiche aussi fièrement au cou de la jet-set en-robe-de-soirisée qu'au bras du couple jean-tee shirt.



Une victoire pour la légèreté


Avec Victoire de Castellane, il s'amuse franchement. Joue le décalage, la surenchère, l'extravagance. La créatrice rit volontiers à l'idée qu'on ne peut que les croire fausses, ces pierres grosses comme des pivoines enchassées dans des bagues hyperboliques, son bijou fétiche parce qu'il profite à celle qui le porte. Peu importe qu'on prenne ses créations pour de la pacotille (d'ailleurs, rien de plus malicieux que de mixer vrai et faux, comme le recommandait Gabrielle Chanel), "puisque seule celle qui les porte connaît leur valeur. Le vrai luxe, c'est pour soi", proclame-t-elle.


Dior revu et corrigé


Sorte d'Annie Croche de la tradition joaillière, elle se paye en plus le culot de faire tailler ces améthystes et émeraudes cristallines telles des marbres de Carrare, les métamorphosant en méduses, serpents, grenouilles et têtes de mort. Puisant dans son monde onirique, à mi-chemin entre contes de fées et aventures de pirates, elle réinterprète avec une liberté débridée le vocabulaire Dior. Dans ses collections, les nœuds, les corsets et les plumes de la haute couture, rencontrent la passion de Christian Dior pour les fleurs (le muguet en tête) et les potagers, ses grigris superstitieux, sa muse Mitza Bricard et son étoffe panthère.
Forte du soutien de Bernard Arnault, elle a pu en quelques années offrir à la maison Dior une réelle légitimité sur la place Vendôme, ainsi qu'un remarquable succès commercial. Près de 30 personnes travaillent donc dans les ateliers Dior, au rythme d'une collection annuelle de très haute joaillerie (pièces supérieures à 50 000 euros) et de deux collections de pièces plus abordables. En outre, au printemps 2005, Victoire a inauguré des séries limitées à très peu d'exemplaires, disponibles dans seulement 10 des 60 points de vente Dior Joaillerie.
La prédilection des clients suit Victoire et ses extrêmes : les stars des boutiques sont les créations très fines, presque secrètes (telle la collection Mimioui), mais aussi les pièces les plus plantureuses, ou encore cette bague mixte, inspirée d'une "gourmette d'homme devenue atrocement mauvais genre", qu'elle a transformée en un bijou "précieux et amusant".



Des bijoux qui lui ressemblent


Est-ce parce qu'elle est quatre fois maman que la joaillerie de Victoire de Castellane est aussi ludique, empreinte d'enfance et de légèreté ? Peut-être... "Il faut de l'humour dans l'élégance", affirme la digne petite-fille du dandy des fêtes folles de la Belle Epoque, Boni de Castellane.
A la voir, frange mutine, bas multicolores et talons aiguilles, on comprend mieux ses bijoux : ils sont comme elle, vivants et spectaculaires, gourmands et irrésistibles, anti-conformistes et authentiques, et valent leur pesant d'art.



Aurélie Galois



                                                                                            Cet article est paru dans ENJOY n°1 
                                                                                                         

Octobre 2006