Portraits


Béatrice Ardisson : muse musicale

Elle ne se contente pas d'être la femme de l'homme en noir et de collaborer à ses émissions. Illustratrice musicale pour des lieux branchés et auteur d'une douzaine de compils, madame Ardisson s'est fait un prénom par ses reprises décalées de vieux tubes français et internationaux.
Une Wonder Woman

Béatrice Ardisson? C'est Wonder Woman dans le corps de Betty Boop ! Avec elle, les brunes ne comptent pas pour des prunes et les hommes ne préfèrent pas (forcément) les blondes... Telles sont les pensées qui vous traversent l'esprit lorsque vous voyez arriver dans ce bar de palace, un samedi matin, ce petit bout de femme au charme électrique. Laquelle vous prévient d'emblée, entre deux sonneries de portable reproduisant tous les cris de la ferme et les jappements amicaux de ses deux chihuahuas : "Pardon, je n'ai pas toute ma tête, on s'est couchés très tard hier soir!"
Précaution inutile : Béatrice a la tête bien faite et bien pleine, je la soupçonne même d'avoir un petit ordinateur greffé à la place du cerveau... Il faut décidément beaucoup d'intelligence et de talent pour avoir su former, depuis vingt ans, le couple insubmersible que l'on sait et - plus délicat encore - s'être fait un prénom, unanimement respecté, à l'ombre de ce grand soleil dévorant.
Une bonne humeur à toute épreuve, sans doute héritée d'ancêtres basquo-béarnais teintés d'un peu d'Argentine pour la fantaisie ; une solide éducation aux jeunes filles de la Légion d'honneur (parentèle militaire oblige) et quelques années de nightclubbingintensif (période Palace) lorsqu'elle était assistante styliste chez Kenzo, sont certainement pour quelque chose dans cette inoxydable propension au bonheur.


Et la musique dans tout cela ?

Oui, mais la musique dans tout cela? Ou plutôt cette activité de sound designer dont le Tout-Paris branché bruisse en échos louangeurs, comment a-t-elle débuté? "Par l'ennui et... la découverte de l'ordinateur!", répond d'un sourire attendrissant cette exilée volontaire dans un haras en Normandie, à une heure de Paris, pour cause de maternités successives (trois enfants Ninon, Manon, Gaston) et de vie commune du troisième type ("avec Thierry, on a commencé par se séparer juste après s'être mariés. On a divorcé tout de suite ! Comme ça on n'a pas eu à le faire après..."). "Je ne suis pas quelqu'un d'ordonné, ajoute-t-elle, mais j'adore classer, j'aime les listes !"


Collectionneuse et fan de musique

Après avoir collectionné toutes sortes de choses, des hippocampes aux expressions animalières (comme "il pleut comme vache qui pisse" ou "il fait un froid de canard"), cette rêveuse méthodique a commencé par aider son mari - grand fan des Beatles devant l'Éternel - à recenser, grâce à l'informatique, toutes les reprises des chansons des Fab Four pour les besoins de son émission "Paris Dernière". Petite souris bosseuse à l'ombre des grands fauves, mais native du Lion (ascendant Taureau) dans le zodiaque (et Chat chez les Chinois), elle a su imprimer sa marque jusqu'à se faire confier l'intégralité de la bande-son de ce road-movie urbain très précurseur. Un style Ardisson (prénom Béatrice) fait d'humour, de recherches et de cocasserie girly qui s'est vite imposé dans le petit monde, un brin macho et fermé, de l'illustration sonore.
Les fans de "Tout le monde en parle" , le rendez-vous hebdomadaire de son très cathodique époux, ont pu apprécier, entre autres qualités, son art consommé du blind-test: 130 éditions concoctées en commun et de haute lutte ("Thierry est plus sixties et seventies... moi je suis plus eighties!") à partir de thèmes fédérateurs plutôt éclectiques (genre : les chevelus, les animaux, les prénoms ou les chanteuses à forte poitrine...).

Un concept ludique et original

Attirés par son concept original et ludique, des lieux branchés et prestigieux, principalement des palaces ou de grandes marques de luxe, lui ont donné carte blanche pour repenser leur environnement musical. A la différence des habituelles et souvent insipides musiques d'ambiance, Béatrice Ardisson s'est attachée à trouver une thématique propre à chaque lieu confié : "Au Crillon, palace un peu intimidant, j'ai pensé qu'il fallait du swing! Pour le Fouquet's, je me suis inspirée des musiques de films. Pour les boutiques Vuitton à travers le monde, j'ai voulu un traitement "rétro-futuriste", avec toujours comme point d'ancrage Paris".
Il manquait à cette battante faussement désorganisée ("j'ai du mal parfois avec le réel, j'ai l'impression d'être un peu schizophrène avec toutes mes vies!") d'étendre sa palette à la production à part entière. C'est chose faite avec douze CD publiés en sept ans chez Naïve, qui regroupent ses thèmes d'émission de télévision, et ce qu'elle appelle ses "manias*". Sans oublier son activité de DJ, comme ont pu la découvrir les lecteurs de Senso lors d'une mémorable soirée de printemps, place de la Concorde. "Je suis comme les chats, j'ai besoin de m'amuser tout le temps!", s'excuse-t-elle presque. Nous aussi, Béatrice, avec vous, toujours ! 


                                                                                                                             


                                                                                                                         Cet article est paru
                                                                                                                         dans Senso

Janvier 2006
Par Thierry TAITTINGER
* manias : collections de reprises insolites et rarissimes autour d'un artiste ou d'une destination: Cloclomania, Indomania, Riomania et le très attendu Bowiemania.