Portraits


Laurent Le Fur, DG de Lenôtre, un homme heureux

Yeux souriants, démarche de rugbyman assurée, du rêve dans les yeux, la silhouette de Laurent Le Fur, Directeur Général de Lenôtre, ne passe pas inaperçue, lorsqu’il franchit la porte. De caractère enjoué et passionné, il aime les hommes et ceux-ci le lui rendent bien.
Il a vécu ses rêves d’enfant, avec des moments improbables, comme manger un sandwich avec Bill Gates ou passer une demi-heure avec le collectionneur Barnes au Musée d’Orsay. Mais il sait rester simple, et son énergie et sa passion il les réserve à la Maison Lenôtre. Sous son impulsion et sa direction, il a réveillé une belle endormie qui n’attendait que son prince !

D’où venez-vous Laurent Le Fur ?



De père radiologue et de mère pédiatre, je suis devenu gourmand grâce à ma grand-mère maternelle que j’ai beaucoup vu jusqu’à l’âge de 17 ans, me partageant durant mon enfance entre la montagne et le Perche où elle vivait.
Une histoire incroyable que la sienne. Comme elle fut abandonnée dans le Bois de Boulogne, elle s’était baptisée Madeleine Boulogne ! Une femme souriante, que j’ai toujours vu cuisiner et qui m’a certainement rendu gourmand !
Avec son mari, mon grand-père, un des seuls revenus de la guerre de 14, ils élevaient des chevaux dans le Perche. Ce fut une parenthèse de bonheur pour moi. J’ai eu la chance de la garder jusqu’à 102 ans, j’avais 17 ans à l’époque.
Puis je me suis lancé dans des études de droit et de Sciences Po mais je réalisais que j’étais surtout tourné vers la convivialité. J’ai donc intégré une école hôtelière à Thonon les Bains et eu la chance d’avoir le soutien d’un professeur principal et chef de travaux à Lausanne, qui m’avait repéré et m’a permis de terminer ma dernière année, n’ayant pas les moyens financiers de payer mes études. Je suis ensuite allé au service militaire sur la Jeanne d’Arc durant 2 ans.

Comment êtes-vous entré chez Lenôtre ?



Après mon service militaire, j’ai ouvert un salon de thé à Strasbourg, devenu la plus grande pâtisserie de la ville et qui existe toujours. J’y ai appris la rigueur alsacienne (sourires). Dans les années 87/88 je suis parti m’occuper des achats et du contrôle de gestion chez Windstar (entre Monaco et la Floride) où je suis resté 18 mois. Puis, après une incursion en tant que directeur de la restauration chez Pullman, j’arrive à Paris en 90 pour être commercial chez François Clerc et gravir les échelons jusqu’en 96. Cette même année je suis chassé par la maison Lenôtre pour devenir directeur des ventes où je vais rester jusqu’en 2006. J’y ai occupé toutes les fonctions, repositionné le département « Traiteur », obtenu la 3ème étoile au Pré Catelan

Pré Catelan

En 2006, je pars pour divergence de vue, et je crée LFP, prenant 15% de participation dans les Yachts de Paris (YDP).
En 2008 Sodexo rachète YDP et me demande d’en prendre la direction tout en restant co-actionnaire.
En 2011, je redresse la société, déploie des projets sur la concession du Port de Javel, et le CA passe de 14 à 17 millions d’euros. Je prends aussi la direction de la restauration de la Tour Eiffel et je gère les évènements.
En 2012, je vends mes actions YDP et je me demande si je vais rester au sein de la société. Et là, j’apprends que Sodexo a racheté Lenôtre. Finalement, en 2013, je reviens à « mes premières amours » et prends les rênes des activités Lenôtre à la suite de Nathalie Bellond, en 2013.

Quelles sont vos premières actions ?

A mon arrivée, je présente un plan de redressement sur 5 ans. Je rationalise, abaisse les effectifs avec moins 10% de la masse salariale, je sors les contrats à perte, mène une recapitalisation de 20 millions d’euros avec le groupe, assainis tous les ratios…
Enfin, je recrute une nouvelle équipe, redéfinis une nouvelle stratégie avec un travail de fond sur la marque.

Quel est votre nouveau modèle pour Lenôtre ?



C’est très simple : les activités les plus rentables pour Lenôtre, sont les réseaux évènementiels et boutiques, deux piliers du CA de la maison. Quant aux 3 activités franchises internationales, licences de marque, école de formation & Conseil, elles se nourrissent de la notoriété des 2 piliers cités plus haut.

Quelle est la définition de votre nouvelle stratégie ?

Lenôtre est un produit de marque qui évolue, tout en restant généraliste. Nous ne souhaitons pas avoir une activité de mono produit, à condition qu’elle soit bien perçue. En quelque sorte, une marque « mère » avec des marques « filles » (sourire).
Le point d’entrée du client est vital. Nous programmons de rénover l’ensemble du réseau de boutiques d’ici fin 2018, avec une nouvelle décoration et de nouveaux services. Nous avons décidé de nous focaliser sur la qualité et le positionnement haut de gamme en perpétuant la tradition de la maison Lenôtre et son savoir-faire, sans rien externaliser : pains, chocolaterie, pâtisserie, confiserie…

A quelle date sera ouverte la nouvelle boutique ?

Restaurant sur un des Yachts de Paris

Elle sera ouverte en mars 2018 dans un nouvel endroit à Paris. Mais chut l’emplacement est une surprise ….

Comment allez-vous habiller la mariée ?

Lenôtre a 60 ans cette année. Nous voulons lui offrir une nouvelle histoire pour son ADN et la projeter au XXI ème siècle. La notion de « Maison Parisienne » et « Maison de gourmandise » sont les traits dominants. Derrière le mot « maison », ce sont les valeurs, la famille et l’histoire qui se perpétuent. L’idée, projeter cette « maison » dans un décor de l’époque (haussmannien) avec une empreinte contemporaine. De ce fait l’axe produit est clair : par exemple, comme nous avons une âme de pâtissier, il faut donc repartir sur la pâte pour repositionner notre savoir-faire, notre métier et mettre au goût du jour les hommes avec la qualité et la technologie, tout en gardant le bon goût. C’est une renaissance sans renier ses valeurs.

Y a-t-il des innovations ?



Nous avons un projet d’école notamment sur les Yachts de Paris. Un mélange d’offres de cours entre les particuliers et les professionnels. Nous voulons faire le trait d’union entre l’Art de Vivre à la française et le savoir-faire Lenôtre.
Le digital va aussi faire son entrée au service du client. Celui-ci sera accompagné dans ses recherches et non plus reçu derrière un comptoir. Nous voulons ainsi créer un acte de vente dans une expérience émotionnelle et mémorable, accompagnée de sincérité et de
générosité. Je souhaite enfin privilégier la différence de ton, d’accueil, de spontanéité et de générosité.

Travaillez-vous sur des nouveautés ?

Oui, nous lançons les achats livrés à domicile de la boutique ou du site Internet en 3h. La nouvelle technologie va être au cœur de la Maison Lenôtre. Bien entendu la valeur ajoutée ici est toujours humaine, car nous restons des commerçants, mais nous voulons rajeunir notre cible de clientèle (35- 50 ans).

Comment comptez-vous les capter ?



A la fois par les nouvelles technologies et par la passion (sourire). Recréer des ateliers de dégustation et les inviter à les découvrir. Car nous sommes la plus grande cuisine d’Europe avec plus de 500 cuisiniers ! Notre tour de main est unique et nous nous devons de le transposer dans nos boutiques. Nous allons aussi lancer des applis, pour suivre le client avant l’achat et après son expérience de dégustation. Notre volonté : créer un luxe d’émotion ! Nous travaillons par ailleurs sur une appli qui mettra en vente à un prix défiant toute concurrence les invendus du jour afin d’éviter le gâchis.

Avez-vous des concurrents ?

Oui par activité, mais non dans la globalité : Potel, Dalloyau, St Clair.
En boutique, nous avons Potel uniquement face à nous. Fauchon n’a qu’une boutique, nous en avons 10. A l’international, seulement Ladurée, mais qui est mono produit. Donc pas de concurrent direct.

Et où se trouve Lenôtre à l’international ?

Nous avons un modèle de franchise. Nous sommes très présents au Moyen-Orient, (Qatar, Arabie Saoudite, Koweït, Dubaï).
Nous sommes à Berlin, nous développons des synergies avec l’Angleterre. nous avons également fait un retour remarqué au Japon avec l’activité chocolats et nous avons une formation en Chine.

L’Art de Vivre dans la gastronomie peut-il s’exporter ?



En Chine, il n’est pas mature en terme de goût. ll faut donc les faire venir à Paris dans un premier temps. Au Japon par exemple, nous avons commencé il y a 50 ans et ils sont matures et prêts à recevoir des concepts sur place.
Mais pour Lenôtre aujourd’hui, nous sommes très prudents et en observation.

Y a-t-il un produit qui représente le plus Gaston Lenôtre ?

Nous travaillons sur un produit iconique en l’exploitant autour de la pâte.

Comment vous positionnez-vous avec le Bio ?



Nous avons toujours été positionné sur le bio. Gaston Lenôtre l’avait déjà anticipé, comme par exemple pour le beurre, la crème qui sont fabriqués par une ferme qui travaille pour nous et qui crée des produits sur-mesure.
Idem pour la glace à la poire, dont les fruits viennent du Potager du Roi ou pour les fruits confits qui proviennent de la Corse. Nous travaillons avec monsieur Santini « Les Fruits du Jardin » qui produit ses fruits à l’ancienne. S’il y a rupture, il n’y a pas d’échappatoire.

Les gâteaux ont-ils toujours le vent en poupe ?



Nous avons désucré les gâteaux de plus de 20 %. Mais la pâtisserie ne cesse de se réinventer et nous devons continuer à faire vivre l’héritage de Gaston Lenôtre. N’oublions pas que nous exerçons un métier où il faut aimer manger, donc avec des ingrédients de qualité (beurre, crème...) Ma seule limite : goût et plaisir.

Quels sont les atouts d’une marque comme Lenôtre ?

C’est une marque patrimoniale, qui fait partie du Comité Colbert et qui a une âme. Elle a des atouts de savoir-faire et un patrimoine humain. Mais c’est une belle endormie !

Etes-vous le prince charmant qui va réveiller cette belle endormie ?

Je suis un hédoniste qui vit une passion éveillée dans mon monde tous les jours. J’aime les hommes, l’humain, j’aime l’échange qui me nourrit, et je suis toujours en contact avec l’épouse de Gaston Lenôtre. Je me sens très modestement le dépositaire, le passeur de cette maison exceptionnelle. Nous vendons de la passion et du rêve et vivons dans l’éphémère. Il faut donc élargir le champ des possibles.

Etes-vous un rêveur ?

Je suis un doux rêveur, créatif tout en étant un bâtisseur. J’aime laisser des traces et j’aime construire. Je suis très attaché à la fidélité, la loyauté. J’ai d’ailleurs des collaborateurs depuis 30 ans.

Quels sont vos projets ?

Amener Lenôtre là où nous l’avons défini pour lui permettre d’avoir une ambition renouvelée. C'est la création et l’humain qui m’animent. A titre personnel, j’ai fini de dessiner la maison de mes rêves, une maison flottante ! (sourire)
Septembre 2017
Par Katya PELLEGRINO