Portraits


Le Luxe selon … Jean-Pierre Le Goff

Le luxe ? Vaste et passionnant sujet de réflexion pour Jean-Pierre Le Goff ! Le bouillonnant et passionné chef d’entreprise(s), qui s’est notamment illustré par la reprise de la célèbre faïencerie Henriot de Quimper, a bien voulu se prêter au jeu des questions-réponses et nous livrer sa vision du luxe.



Comment définiriez-vous le luxe ?

« Le luxe, c’est ce qui paraît inaccessible, exceptionnel. Pour qu’une chose soit considérée comme luxueuse, elle doit être différente, se construire sur une logique d’authenticité et de qualité sans être bling-bling. Le bling-bling, c’est à la portée de tout le monde. L’exceptionnel, ce n’est pas nécessairement lié à la valeur : c’est une situation, un lieu, un moment. Le jour où j’ai déjeuné avec Claudie Haigneré, c’était un moment exceptionnel, un moment de luxe. Ce qu’il y a de mieux, c’est quand il y a de l’amitié, une complicité. Lorsque je déjeune chez Alain Passard à l’Arpège, je me sens chez moi. Vivre le luxe tout seul sur un yacht de 50 mètres ne m’intéresse pas : « exclusive » ne doit pas être synonyme d’« exclusion » , sinon on s’isole ».

« Etant ingénieur de formation, j’ai compris très tôt qu’il fallait toujours se différencier en abordant des sujets de « niche », difficiles. Tout en ayant à cœur de mettre à la portée des plus modestes des objets de qualité. Le luxe extrême peut être très simple : ma petite maison bretonne en baie de Douarnenez, isolée et dénuée de confort, où je me sens bien, et où j’aime à accueillir mes amis. Avec la faïencerie Henriot, je veux recréer la même ambiance et son effet « anti-dépresseur » : le plaisir de se sentir bien. J’ai besoin que le luxe m’apporte du plaisir. Mais ça ne doit jamais devenir une routine ».


Que de chemin parcouru entre le fameux « bol à oreilles » Henriot, et la statue de Dolly sur le thème du clonage qui a été tirée à 8 exemplaires, ou la réédition de la magnifique statue consacrée à l’exposition coloniale de 1931 !


La statue Dolly sur le thème du clonage a un côté un choquant qui accompagne aussi la renaissance actuelle de Henriot. Quand à la reproduction de la statue d'Anna Quinquaud, "Femme du Fouta Djallon", elle a fait aussi l’objet d’un tirage limité, et renvoie à l’époque glorieuse des années 1920-1940. Le bol à oreilles garde toute sa place aux côté de ces œuvres. Pour l’anecdote, je vous raconterai que lorsque le Président Sarkozy est venu visiter les chantiers de Sibiril en avril 2012, je lui ai offert un bol à oreilles Henriot. C’est un objet porteur d’émotion, en ce sens il est bien un anti-dépresseur !


L’identité bretonne influe-t-elle sur votre vision du luxe ?

« J’aime la Bretagne, j’aime mes racines bretonnes, mais je suis attaché à la langue française, je ne parle pas le breton et ça ne me manque pas. Je me partage entre Nantes, Quimper et Paris, où j’ai mes bureaux rue du Bac. Je pense qu’il faut défendre l’identité bretonne avec les armes de demain. Le respect des anciens doit être dénué de nostalgie, pour préparer le futur. Pour croire en l’avenir, il faut avoir compris le passé. Je pense à ce chant breton « Da Feiz hon Tadou kozh », qui dit : « A la foi de nos ancêtres, nous enfants de la Bretagne, nous serons toujours fidèles »…

« A l’étranger, on vend de l’authentique « breton » parce que c’est différent. Mais pour moi, il n’est pas nécessaire de revendiquer la fabrication en Bretagne pour réussir. Je ne me reconnais pas dans les autocollants « bretons » que l’on voit sur de nombreuses voitures, pour moi il n’y a pas besoin de ça pour s’identifier !

J’ai ma propre vision des choses, qui est délibérément hors normes. Je veux recréer une notion d’Art Déco dans les années 2010-2020. C’est pourquoi Henriot va vers plus d’objets de mode, que ce soit avec les chapeaux – qui comportent toujours un pièce de faïence – ou avec les bijoux pour hommes qui complètent la ligne des bijoux féminins. Je fais aussi revenir les peintres et les créateurs, nous mettons en place des résidences d’artistes sur notre site historique de Locmaria à Quimper. C’est un quartier en pleine mutation, qui accueillera bientôt un hôtel 4 étoiles, outre le restaurant Le Prieuré qui vient de s’ouvrir, sans compter l’installation prochaine du brodeur Pascal Jaouen et de son école. Henriot est entrain de s’agrandir et accueillera le public dans un espace de 7000 m2 sur trois niveaux, sous la forme d’une galerie d’art. Ce que je veux faire : de l’art contemporain décalé. Toute ma vie j’ai pris des risques, j’ai innové, j’ai accepté l’éventualité de l’échec. Je considère qu’on peut se passer de tout, mais qu’on ne peut vivre que par passion ».


Quel est pour vous le comble du luxe ?

« Le luxe authentique : Henriot-Quimper, l’Arpège, Nalawaki… »


Et le luxe dont vous ne sauriez vous passer ?

« La liberté ».


Interview Gwenola Lemoine


Octobre 2013
Crédits photos : Henriot Quimper
Portrait : Bernard Galeron