De la beauté à l'élégance : Un dandysme sans concession
Avec vous c'est clair, si j'ose dire : noir, c'est noir...
Je vis dans un milieu de mode qui est excessivement précis et très codé. Le noir, par exemple, est indispensable, mais à présent il est ennuyeux pace que tous les gens de sécurité et les portiers le portent aussi. Ce sont les gens de la mode qui ont lancé ça dans les années 80 à Paris, ensuite ça a été récupéré très vite par les Américains. Cela fait 25 ans que je suis habillé en noir, ce n'est pas une découverte ! Aujourd'hui quand on veut looker quelqu'un, on lui met une chemise ou un tee-shirt noirs et un costume noir, et tout d'un coup il a plus d'allure. Mais il peut aussi bien être devant la porte d'un restaurant à la mode que chauffeur de grande remise, c'est un peu embêtant. Il faut un peu se personnaliser, et comme je suis d'un esprit très indépendant à ma façon, je n'ai pas peur d'un certain décalage.
Au-delà de la couleur, où vont vos préférences ?
J'aime un certain style, qui est mode à tout prix, c'est-à-dire quelque chose de pointu. Chez Dior, je trouve qu'Heidi Slimane donne de l'allure à un type qui n'en a pas spécialement, et je trouve que c'est très important, parce que les gens qui ont l'œil averti peuvent tout de suite reconnaître sa silhouette. Il faut effectivement rentrer dedans, mais c'est formidable parce que ça me sert de pèse-personne ! Les proportions sont parfaites. J'ai aussi beaucoup de pièces chez Hermès, pour la sensualité et la qualité des tissus, le très beau travail et la palette de couleurs. J'y suis très sensible parce que lorsque je sors du noir, je passe au gris ou aux camaïeux de beiges et de bruns, et je les trouve dans ce genre de choses. J'aime beaucoup cette sorte de raffinement, cette silhouette plus classique avec cette subtilité. J'ai aussi certaines choses plus excessives, que je vais trouver chez Vuitton. La panoplie d'une seule marque, jamais !...
Le total look n'est pas une notion très dandy !
C'est effrayant ! J'ai un goût pour un certain folklore, qui va du Maroc à l'Inde, et comme je voyage beaucoup je me fais faire des choses sur place. Par exemple, il y a une boutique à Marrakech, 212, qui fait des choses très pointues sur des vestes marocaines brodées, avec des cachemires et des lins Loro Piana, et des broderies parfaites faites à la main. En Inde j'achète plutôt des tuniques de soie que je peux mélanger, je trouve cela très intéressant.
Autre chose : quand je voyage, je fais attention à être Français : il y a une certaine façon de s'habiller à New-York, une autre à Milan, une autre encore à Tokyo, et moi j'aime les mélanges inattendus : "Etonnez-moi", disait Cocteau...
En terme d'habillement, comment voyez-vous les Français et leurs voisins ?
Je trouve le Français de plus en plus tarte ! Il a l'uniformité tristounette. L'Italien est plus attentionné à sa mise, il a cette fantaisie avec des bases classiques et de bonnes matières, et même la rue est plutôt bien habillée. L'Américain est trop sportswear, le Japonais classique mais essaye de ne pas faire de fautes. Enfin, l'Anglais se permet des choses avec une liberté et un humour que j'adore. On sait que tous les mouvements de mode forts sont partis de Londres ; ils osent les rayures, les carreaux, il y en a partout, des coupes étranges, et ça passe ! Il y a un style et ça, c'est la chose la plus importante.
Vous pratiquez donc le noir mais appréciez les couleurs ?
On dit toujours que le vestiaire masculin est étriqué, entre veste, pantalon et chemise, mais on peut jouer sur les tissus : avec les chemises de chez Pink, Turnbull & Asser ou Charvet, il y a de quoi faire, les palettes de couleurs sont extraordinaires. Il m'arrive de mettre des trucs de certaines marques que j'aime beaucoup, mais je me dis "Oh là là, je fais mon âge !", alors que l'on n'a jamais envie de faire son âge ! Le noir file un coup de jeune, il faut le savoir !
Un peu de blanc, aussi, comme Jacques Helleu ?
Le soir je mets une chemise blanche, d'abord parce que ça flatte, alors que le noir plombe. C'est joli sur une femme, mais un peu tristounet pour un homme ; le soir la réverbération et le reflet ne sont pas flatteurs du tout pour la barbe. Alors que le blanc illumine, mais il lui faut de très belles matières : de beaux cotons, des voiles ou des soies. En revanche, le costume blanc, non : personne ne se promène en costume blanc, si ce n'est en photo ! Un pantalon blanc avec un blazer, une veste blanche avec un pantalon noir aussi, même si ça fait garçon de café !...
Cela limite un peu le vestiaire, non ?
Non, pourquoi ? J'ai un placard où il y a 15 costumes noirs, bien sûr c'est un peu sombre... Quand j'emménage, ce qui compte c'est la longueur du dressing : c'est l'élément de choix. Le mien est sur deux étages, un pour l'hiver et un pour l'été. Et quand je me déplace, c'est le dressing qui est le plus important...
Détaillons-le un peu, précisément. Les chaussures ?
J'en ai une grande collection, 20 ou 30 paires, et je ne les use pas, comme tous les gens qui en ont beaucoup. J'ai des Berluti, dans les formes longues parce que j'ai le pied étroit et j'en profite. J'aime leurs couleurs, j'ai une paire cerise, immettable en plein jour, que je garde pour le soir. Des boots argent Rodolphe Ménudier que j'adore, à mettre avec une flanelle grise. Des mocassins pour le week-end, plutôt en veau-velours, et j'aime ceux qui font un petit clin d'œil, comme les Vuitton. En revanche, je n'aime pas du tout les sneakers : je trouve qu'ils font un pied idiot, vilain.
Des peaux exotiques ?
Des Santiags comme tout le monde, mais c'est tout.
Les accessoires ?
Malheureusement, les hommes n'ont pas beaucoup de fantaisie : les femmes se mettent des accessoires autour du cou, des oreilles, des poignets, c'est ravissant.
Quand un homme fait arbre de Noël, c'est vite dangereux et difficile, et souvent mauvais genre.
Plus précisément ?
Une passion pour les montres et les boutons de manchettes. Sans être un grand collectionneur, j'ai quelques montres, j'aime bien en changer.
Quels sont vos critères de choix ? Plutôt marque ou style ?
Je me fiche de la marque, l'important c'est le modèle, son style : j'ai la Chaumet comme tout le monde et la Vuitton Tambour, parce que ce sont des montres à la mode, et que j'aime la mode. Aujourd'hui je porte une Jacquet Droz, parce qu'elle ne court pas les rues - tant mieux, parce que avoir la montre de tout le monde... La première a été une Tank de Cartier, c'était il y a un moment... et demain ce sera la Monaco.
La mode des grandes montres ?
Je trouve ça très rigolo, et je les aime aussi sur une femme ! Cela donne un côté décalé qui est impactant. En ce moment on ne peut plus porter de petites montres : on n'a plus l'œil à cela.
Les chaussettes ?
Il y a des trucs que je trouve très drôles chez Paul Smith et Etro. Mais en France les importateurs ne prennent pas de risque, et on ne voit pas de chaussettes incroyables comme à Londres. J'aime beaucoup les Anglais pour cela : parce qu'il sont très "formal" mais avec une touche d'excentricité.
Les pochettes ?
Très difficiles à mettre aujourd'hui. Je les ressors (je garde tout, j'ai 40 ans de vestiaire !) et les mets avec un blazer Ralph Lauren superbement coupé, ou une veste de cuir Hermès, avec un jean.
Avez-vous vu les vestes Billionnaire, avec deux pochettes ?
(Il ne connaît pas, nous parcourons le dernier numéro de Dandy, il découvre la photo, sourit, mais pointe du doigt les photos des divers boutons de chemise de la maison italienne) Personnellement, je ne rentrerai pas là-dedans, c'est too much. Je peux me permettre des excès, j'ai porté des pantalons rouges, orangés, je suis allé très loin, mais ça pour moi c'est du faux raffinement. Ce sont des détails presque féminins. Une chemise c'est une chemise... Avec une gorge lorsqu'on la porte sans cravate, c'est moins triste !
Vos lunettes ?
Dior, elles ont de très bonnes formes, or il n'est pas évident de trouver des lunettes qui aillent et certaines d'entre elles font un regard triste.
Vous qui faites profession de beauté, n'avez-vous pas été tenté par une opération physique ?
Pas du tout ! J'ai quatre, cinq paires de lunettes, c'est un vrai accessoire.
Des chapeaux ?
J'adore aussi, mais ce n'est pas facile non plus. J'ai des feutres, que j'achetais au départ de Londres, des casquettes qui ne sont pas des trucs de rappeur, des bonnets en hiver, et j'ai eu un mal fou à trouver une belle toque en zibeline à Moscou - une fois qu'il a plus dessus, on dirait un vieux chat (il sourit), mais c'est très bien ! Pour l'été, un panama, mais là aussi on vous regarde comme si vous aviez un perroquet sur la tête !
L'or jaune ?
Vraiment en perte de vitesse totale. On ne peut plus le porter le jour. L'or rose revient, mais l'acier l'or gris passent mieux. J'ai autre chose... (il nous montre une bague tournée dans un métal gris et agrémentée d'une grosse pierre). C'est en quoi, à votre avis ?
La pierre : un diamant noir, de belle taille : trois ou quatre carat ? La bague : titane, tungstène ?
Météorite ! J'aime cette dimension d'une partie qui vient du fond de la terre et l'autre de l'espace, et qui ont pris quelques millions d'années pour se rencontrer, ça j'adore !
Yves Denis
Cet article est paru dans DANDY n°12