A La Une


Richard Mille : l'homme qui met une âme dans ses montres

"Je suis de plus en plus fou" ! C'est par ces mots, que Richard Mille, fondateur des montres les plus chères au monde, se présente. Mais que le lecteur se rassure, sa folie est une folie douce, alimentée par sa boulimie créative. En dehors de ses montres, de véritables formules 1 au design très actuel, vendues sous le nom éponyme, il se lance actuellement dans la rédaction d'un livre axé sur le caractère mystérieux de la montre, édité par Cercle d'Art. Chaque pièce sera sublimée et mise en texte par Alain Borer, un spécialiste de Verlaine et de Rimbaud. Pour cet homme passionné, seules la créativité et la qualité comptent. Exigeant, précis et minutieux, il veut apporter le meilleur de la culture horlogère, avec le souci du détail qui le caractérise, sa seule limite étant la technique.
Si on lui parle du prix de ses montres, plutôt luxe (entre 20.000 et 500.000 €), il affirme que le coût, lors de la fabrication, vient en dernier. Choix délibéré, qui le situe hors norme dans le monde horloger.
En effet, dans l'industrie horlogère, le prix est un facteur essentiel qui détermine la fabrication et souvent les campagnes publicitaires.
Son unique souci, proposer à ses clients, souvent de grands capitaines d'industrie, une montre conçue pour la vie, à la pointe de la technologie et pourtant facile à porter.
A ses yeux, le luxe change. Fini les produits à paillette, qui ne leurrent qu'un public non averti.
Place à un retour aux vraies valeurs.


Richard Mille, d'où venez-vous ?

A près avoir travaillé en tant que directeur commercial chez Matra, puis chez Mauboussin, j'ai été freiné dans mes élans créatifs par l'esprit de consensus et les contraintes marketing existantes.
Autant j'étais en phase avec Alain Mauboussin, autant j'étais contre la stratégie de développement de son frère Patrick en 1999. Développement absolument pas réaliste et peu souhaitable, qui prônait le marketing au détriment de la créativité.
Je pressentais depuis les années 90, que le marché du luxe reprenait.

A votre avis, quelle en était la raison ?

Du essentiellement à un marketing creux, sans réelle valeur ajoutée de la part de nombre sociétés dites de luxe.
Il ne faut pas oublier que le luxe ne s'apparente pas à un marketing ou au nombre d'ouvertures de points de ventes, mais plutôt à une créativité renouvelée tenant en compte de la culture et des besoins de la clientèle.
En face de vous, vous avez des clients exigeants, cultivés, avertis, sachant discerner le vrai du faux.
Pour aborder réellement cette clientèle, il faut une réflexion stratégique, s'appuyant sur la qualité et l'exceptionnel et non pas sur le prix.

Quel est votre concept ?

Vouloir créer sans contrainte, des montres à vie, extrêmement modernes et abouties. Passionné de mécanique depuis ma plus tendre enfance (bateau, voiture, horlogerie), ce qui m'intéresse, reste l'aboutissement d'un produit, même face à un problème.
J'avais envie de croiser l'architecture à la mécanique, comme on le fait avec la voiture. On trouve ici un aboutissement qui interpelle les cinq sens. L'odeur avec l'huile, l'essence, la vue avec la vision des lignes, des coupes, l'ouïe avec son moteur, le toucher avec la beauté de ses bois, de son cuir...
Mon envie, faire des montres qui parlent aux hommes.
Ce qui est étonnant c'est de constater que la fibre émotionnelle des capitaines d'industrie, qui peuvent tout se permettre ou presque tout, est très forte face à une montre aboutie, bourrée de mécanique.
Cet objet leur parle, les fascines, leur évoque leur part de rêve. C'est un morceau de leur enfance.
C'est ainsi que j'ai conçu ma première montre en 97/98, réalisée en 2001.

Pourquoi ce parti pris des montres les plus chères ?

C'est le résultat d'une démarche et d'un concept.
Concrètement j'ai fait la démarche inverse d'une société.
Au lieu de tenir compte en premier lieu du coût, j'ai choisi de prendre le meilleur en termes de technologie, de design et de fabrication.
Paradoxalement mes montres qui intègrent des prouesses techniques, sont fabriquées d'une manière artisanale et sont finies à la main. Ce qui représente à peu près 30 à 40 % de la fabrication totale et explique que je sois toujours en rupture de stock.
Mon prix est en définitive une résultante de choix.
Il y a évidemment une prise de risque, mais celle-ci est calculée. Je suis fou, mais prudent.
Il me suffit de vendre une petite cinquantaine de montres pour m'en sortir.
Actuellement, j'en vends plus de 1000 par an.

Parlons de prix ?

Le prix d'une montre Richard Mille démarre à partir de 20.000 € jusqu'à 500.000 €.
Actuellement j'ai un carnet de commandes jusqu'en 2010.

Quelle est votre vision du luxe dans 10 ans ?

Le luxe bouge énormément. Sa définition évolue dans le temps et doit s'adapter à l'époque.
Il sera de plus en plus morcelé avec de plus en plus de strates.
Certes, le luxe abordable est indispensable, mais ce n'est pas le luxe.
Actuellement avec les campagnes marketing de nombre de produits de marques, le message est tronqué. Le côté paillette ne suffit plus. Il faut travailler au-delà de la valeur perçue, car bien souvent l'écrin est vide.
Il est donc nécessaire de retourner aux vraies valeurs.
Dans mon cas, par exemple, le poids d'une de mes montres ne fait pas sa valeur, alors que bien souvent le poids d'une montre sert de justification à un prix élevé.

Vous croyez au luxe abordable ?

Si cela peut initier les acheteurs à la notion de luxe, pourquoi pas. Il faut une meilleure connaissance de la culture, une divulgation des codes du luxe.
Mais ce qui fait l'essence du luxe, intrinsèquement, c'est sa rareté.

Avez-vous des projets ?

J'ai beaucoup d'idées, notamment trois nouveaux modèles.
Ma démarche est différente de celle des horlogers.
J'aime cette "profusion" de produits, que je crée. Ma façon à moi de faire du "volume" consiste à créer des montres chaque année, avec des innovations.
Contrairement aux autres horlogers, j'ai cette liberté de création sans avoir des contraintes budgétaires.
Septembre 2006
Par Katya PELLEGRINO