Culture


Hommage à Egon Schiele et à Jean-Michel Basquiat à la Fondation Louis Vuitton

Jusqu’au 14 janvier 2019, la Fondation Louis Vuitton nous convie à 2 expositions magistrales : une « monographie » Schiele et une « rétrospective » Basquiat. Malgré la singularité irréductible des deux artistes et de leurs contextes de production, il existe une sorte de résonance entre eux d’un bout à l’autre du XXe siècle, de l’Europe (Vienne) à l’Amérique (New York). Suivons les dans leur « Fureur de vivre ».

Egon Schiele, plus de cent oeuvres, dessins, gouaches et tableaux

Autoportrait au gilet, debout, 1911. Courtesy of Ernst Ploil

Pour Schiele, d’emblée rétif à tout académisme, traitant frontalement, non sans narcissisme, à la fois de la sexualité et de la mort, un grand peintre est un « peintre de figures ». Portraits, autoportraits sont ici au centre de l’exposition d’une centaine d’oeuvres mêlant travaux graphiques et quelques peintures. Elle est enrichie d’une sélection de paysages et de natures mortes nécessaires à l’appréciation de l’oeuvre dans sa progression et ses détours.

Autoportrait au coqueret, 1912


Parcourir la carrière fulgurante de Schiele, de sa majorité en 1908 à son décès en 1918, n’est pas sans soulever des questions autrement plus profondes que les réactions de rejet suscitées par les seules images - nécessairement trompeuses - véhiculées aujourd’hui par la publicité.
Cette manifestation a pour premier mérite de permettre aux visiteurs de «s’exposer » véritablement aux oeuvres elles-mêmes et à leur effet et toujours si saisissant, lié à la tension corrosive d’un dessin dont le tracé paraît directement branché sur un réseau nerveux, abrupt et à vif.
Moa, 1911


Jean-Michel Basquiat, au cœur de la scène new-yorkaise des années 1980

Crowns (Peso Neto), 1981 - © Marc Domage

Disparu en 1988, Jean-Michel Basquiat a réussi à faire oeuvre en quelque dix ans à peine et reste d’une brûlante actualité, transcendant le temps. Eminemment moderne, Basquiat n’aurait pu avoir une telle prégnance dans le futur sans s’appuyer sur une vraie connaissance et sur la compréhension sensible de l’art du passé.
L’artiste absorbe tout, tel un buvard, mixant l’apprentissage de la rue à un répertoire d’images, de héros et de symboles issus des cultures les plus diverses.
Il se les approprie sans contrainte à l’image de la culture hip-hop à l’émergence de
laquelle il a contribué : la Bible, l’Égypte, le vaudou, les héros afro-américains, la bande dessinée voisinent avec Léonard De Vinci, Matisse, Picasso, etc., et avec des références contemporaines. De là, à partir du collage et du graffiti, Basquiat invente un langage totalement inédit.



A moins de vingt ans, Basquiat est d’abord un poète, SAMO©, scandant dans la rue des sentences lapidaires, oniriques et parfois vengeresses. Déterminant encore, c’est un musicien se produisant dans les lieux les plus frénétiques du New York de la fin des années 1970. Ses engagements lui valent un positionnement dans les cercles les plus bouillonnants, faisant de lui, peu à peu, le premier créateur afro-américain à vraiment s’imposer visuellement et symboliquement dans le monde de l’art occidental.

Irony of a Negro Policeman, 1981


Sa première apparition en France a lieu à l’ARC/Musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 1984, lors de l’exposition «5/5. Figuration Libre France-USA». Sa présence y affirme l’effervescence d’une scène née entre rue et musée. Déjà, la critique signale les ascendances modernes de la peinture de Basquiat : Pablo Picasso, Jean Dubuffet, Willem De Kooning, Franz Kline, Robert Rauschenberg et surtout Cy Twombly... Apparu dans le temps d’un renouveau de la figuration, son travail peut aussi être lu, d’une certaine façon, comme un développement imprévu de l’art conceptuel par son analyse d’une réalité sociale et économique et sa critique des dispositifs de domination, notamment raciale.
Novembre 2018
Par Hélène Feltin