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Culture


Alain Némarq, PDG de Mauboussin : un franc-tireur Place Vendôme

Né à Asnières, de parents rescapés de la Shoa, Alain Némarq, PDG actuel de Mauboussin, se définit comme un « non héritier » dans le cercle très fermé de la HauteJoaillerie. Cet électron libre, en prenant les commandes de cette vénérable maison, a bousculé les codes de la haute joaillerie. Il a multiplié les ruptures de style dans un domaine ultra conservateur, allant même jusqu’à appliquer une politique de marketing novatrice, faisant descendre Mauboussin dans la rue, dans le métro et dans les magazines « People » ! Une politique certes très controversée, mais qui a fait ses preuves, puisque le CA en 10 ans est passé de 12 Millions à 75 Millions d’euros. Focus avec Luxe Magazine sur cet homme pas comme les autres

J’ai voulu faire plaisir à mes parents !

« Rien ne me prédestinait à travailler dans le domaine de la joaillerie » précise Alain Némarq, qui a eu un parcours chaotique, bien qu’ayant reçu une éducation rigoriste par une famille éprise de valeurs. Son père fut fait prisonnier au stalag de 40 à 45 pendant la deuxième guerre mondiale et sa mère, a fini la guerre dans un maquis.
« Plutôt littéraire et attiré par l’art, j’ai choisi de faire la prépa HEC pour faire plaisir à mes parents, devenant ainsi le premier bachelier dans la famille.»
Mais les années 70, bouillonnantes d’idéologie m’ont porté, permis de me révolter et à 18 ans d’être marxiste! » Mais la voix de la raison est la plus forte et Alain Nemarq prépare après HEC un doctorat de gestion, et devient professeur HEC durant 7 Ans.
En 82, c’est le tournant avec un saut dans le textile et la Mode. IL devient entre autres, le patron d’ YSL et de Kenzo.
En 2000, la perte de sa mère lui fait prendre conscience qu’il a rempli son contrat vis-à-vis de ses parents (son père est décédé l’année précédente) et il répond présent à l’appel de Dominique Fremont, le nouvel actionnaire et propriétaire de Mauboussin.
«J’ai alors la chance d’apprendre le métier aux côtés de Patrick Mauboussin, qui pour moi se vit comme une espèce de compagnonnage.
En 2003, nous créons la première collection, en 2004, je la prépare avec son assistante et en 2005, je lance ma première collection, seul !»

Un rappel sur la Maison Mauboussin

Mauboussin
créée en 1827, était une très belle maison familiale, centrée sur les « happy few ».
Dans les années 80, sa clientèle se composait essentiellement de grands bourgeois.
Jusque dans les années 98, la maison travaille à 80 % avec le Sultan de Brunei, ce qui sera sa perte.
« Car lorsque le sultan de Brunei arrête ses commandes, la maison doit fermer et c’est Dominique Fremont qui la reprend en grande partie et qui fera appel à moi pour la diriger.
Je dois dire que j’ai une très grande admiration pour la grande période de Mauboussin, qui fut celle de l’Art Déco. Spécialiste de la couleur (pierres précieuses et semi précieuse et maîtrise de la création géométrique), Mauboussin est exemplaire en matière de forme et d’optimisation du poids du métal, ce qui est sa philosophie.
A mes yeux, je définissais cette maison comme de la « Joaillerie dentelle » qui était réellement sa spécialité.

Quel est votre constat à votre arrivée chez Mauboussin ?

A mon arrivée, je fais deux constats :
Premièrement, le monde a changé, le statut de la femme entre 72 et 92 s’est modifié. En une double décade, il y a eu la loi sur l’avortement, sur le divorce, la libéralisation de la femme… En 2000 elle assume sa vie et ses choix.
Elle est maitresse de sa vie et de sa consommation. Ce n’est plus à l’homme de lui offrir le bijou qu’il considère comme un trophée et son achat comme une démarche d’ordre statutaire.
Deuxièmement, pour la femme, le bijou représente l’émotion du moment et non plus le bijou pour l’éternité.
Son seuil maximum d’achat personnel est de 3000 €. Au-delà, l’homme prend le relais ou l’achat se fait d’une manière concertée.
Fort de ces constats, je décide de recentrer la création et la politique de marketing. Rendre accessible le rêve et répondre aux émotions du moment de la femme.

Quelle fut votre politique de recentrage de la création ?

J’avais l’envie de créer des collections beaucoup plus régulièrement en me basant plus particulièrement sur la bague, valeur symbolique.
En offrant une bague l’homme se fait plaisir et pour la femme, la bague représente une seconde peau, un accessoire d’identité. Elle se pare d’attributs et exprime ses émotions de la même manière qu’elle porte un bijou comme elle met ses chaussures.
Ayant vécu entouré de ma mère et de ma grand-mère, j’avais une part de sensibilité féminine qui me faisait bien et mieux comprendre que d’autres je pense, le comportement de la femme.
M’adressant à la gente féminine, je décide donc de fabriquer à 80 % des bagues.
Je crée ainsi différentes collections qu’elle porte selon son humeur et à différents moments de la journée.
La bague confortable, appelée « le Premier Jour »
La bague Stiletto, pour la femme qui assume « Gueule d’Amour » avec des couleurs géométriques
La bague de l’ascenseur social : « Tellement Divine »
La bague d’apparat : « Je le veux vraiment »

Pourquoi être descendu dans le métro pour parler des bijoux Mauboussin ?

Je voulais l’informer sur la création. Dans le métro, la femme est disponible le temps du trajet. Donc le lieu idéal pour capter son attention.
A mes yeux, c’est une cliente urbaine, active, qui a une lourde charge sur les épaules et cumule différentes fonctions selon l’heure de la journée (ce que ne pourrait faire un homme, plutôt mono tâche.)
Je n’avais pas le sentiment de désacraliser le bijou.

Quelle fut la réaction de vos confrères et concurrents, lorsque vous décidez de recentrer la création et de casser les codes de la joaillerie ? Vous avez du être décrié par la profession ?

Effectivement, j’ai provoqué du remous et une gigantesque révolution de la part de mes confrères.
A mes yeux, on peut comprendre une évolution (ce qui était le cas) mais non la révolution.
L’ensemble de la profession m’a pris tout d’abord pour un crétin, certains que la maison allait mourir, puis je n’ai plus été considéré comme faisant parti du sérail.
Mais j’ai parfaitement compris que certains n’appréciaient pas ma démarche. Ceci étant je ne cherchais pas la reconnaissance de mes pairs.

Comment a réagi Patrick Mauboussin ?

Avec une extrême sensibilité et beaucoup d’humour.
La profession à laquelle il appartenait à l’époque ne l’avait pas beaucoup soutenu lors de ses problèmes avec le Sultan.
Finalement, il a compris mon analyse et alimenté ma « révolution ». Et de toute façon c’était la seule façon pour cette maison de se redresser et de continuer à perpétrer le nom de Mauboussin.
Ma seule légitimité pour diriger cette maison était donc de devenir le créatif de la marque.
N’oublions pas qu’en 2002 nous faisions 12 millions d’euros de CA et qu’aujourd’hui nous avons atteint 75 millions.
3000 bijoux vendus en 2002 et 100 000 aujourd’hui.

Quelles sont vos plus grosses ventes ?

Mon cœur de métier pour la vente reste les bagues avec un prix oscillant entre 850 et 2500 €
Aujourd’hui la bague la plus vendue c’est Chance of Love (65000 pièces) Gueule d’Amour (25000 pièces).

Vous avez baissé les marges, souhaitez grossir en faisant du volume, mais baisser les marges, ne se fait il pas au détriment de la qualité ?

L’écart de prix est lié à une baisse de marge. Nous n’avons pas diminué la qualité, le prix de revient restant le même et nous avons augmenté la production. Dominique Fremont a un objectif pérenne. Il n’a pas acheté la maison pour la revendre dans 5 ans.

Qui détient Mauboussin aujourd’hui ?

Dominique Frémont avec plus de 67 %
Moi-même directement et indirectement 17 %
Cathay Capital 7, 5 % et Pierre Azoulay 7 %

Avez-vous gardé une part de la clientèle Mauboussin ?

Oui 12 %, avec des pièces de plus de 30 000 €

Quel est votre regard sur la joaillerie ?

SI elle est une discipline du rêve j’y suis favorable, car j’ai envie que le rêve gouverne.
La joaillerie ne doit pas être ostentatoire, mais doit contribuer à la joie et au plaisir.
SI on regarde la joaillerie en tant que groupe économique, 80 % de celle-ci est vendu sans marque dans le monde.
Le plus gros acteur Cartier, vend 4 milliards sur 100 milliards que représente la joaillerie.
Pour moi ces chiffres sont vivifiants, car ils montrent que la joaillerie n’a pas été domptée par les marques et que le système ainsi que la création restent libres.
Je n’ai donc bousculé aucun code dans le cercle fermé de la Haute Joaillerie, car leur part dans le monde est infinitésimal.

Quelle est votre définition de la joaillerie ?

L’art de travailler le métal précieux et le sertissage de pierres.
Le partage entre le monde du bijou et de la joaillerie passe d’un côté par le savoir-faire du travail des métaux et de l’autre par le sertissage de pierres non précieuses.

Quel est l’avenir de la joaillerie ?

Je suis optimiste dans ma démarche de « féminisation « de produits.
La femme souhaite acheter de plus en plus souvent et pour justifier ce bouillonnement créatif, la joaillerie d’aujourd’hui va exprimer cet air du temps.
Par contre je suis pessimiste pour les vendeurs de ce que j’appelle les « trophées » (pièces exclusives, très chères). Car les cibles changent, comme la Russie par exemple, qui fut un grand acheteur, mais l’est moins.
Pour justifier ce prix très élevé, ou pour trouver le « taycoon » ce qui devient de plus en plus difficile, la joaillerie doit faire passer des messages percutants vis-à-vis de l’acheteur, qui doit être acquéreur d’œuvres d’art ou d’intemporalité.

Quelles sont les marques que vous admirez le plus ?

Van Cleef est une marque exceptionnelle, Harry Winston, une maison respectable.
Mais dans l’ensemble toutes les maisons de joaillerie sont respectables.

Qu’est ce qui vous inspire ?

Ce sont les femmes qui m’inspirent. Je refuse de regarder les collections de mes concurrents. A mes yeux, la création vient de la Muse et non du créateur.

Vos projets ?

J’ai sorti un foulard en or, soie et diamant en édition limitée vendue 395 € que j’appelle « la croqueuse de diamants », ayant envie de remettre à l’honneur le carré de soie.
Pour ce faire, j’ai fait appel à une jeune artiste peintre, Charlotte l’Harmerout.
je vais aussi sortir un sac en or, toile et diamant.
D’un autre côté, j’ai aussi envie de rareté, d’œuvre d’art, ce qui n’est pas la même histoire que les bagues.
D’un côté, c’est l’accès au bijou pour répondre à une émotion du moment de la femme, et de l’autre, l’aspect rare, limité de l’œuvre d’art.
Enfin nous avons sorti un parfum pour l’homme. C’est l’odeur de l’autre lorsqu’il n’est pas là !

Votre qualité principale ?

Je suis d’une extrême fidélité en amitié.

Votre défaut principal ?

Je ne suis pas très modéré dans mes jugements. Je ne fais pas trop de compromis, tout en acceptant les autres avec un regard lucide.
Dans la première partie de ma vie, j’ai appris qu’il ne fallait pas se tromper sur les personnes et avoir un regard lucide.



Novembre 2012
Par Katya PELLEGRINO