Portraits


Jean-Philippe Nuel  : un architecte-scénographe, au tombé juste et sensuel

Détecteur de tendances, Jean-Philippe Nuel, aime sentir l’air du temps, s’en imprégner pour le restituer à sa façon dans les hôtels qu’il affectionne. Il a signé de prestigieux hôtels, bateaux ou lieux inédits comme L’Avenue Lodge à Val d’Isère, l’Austral et le Boréal de la Compagnie du Ponant, le Duplex à Pondichéry pour Taj, Pesey–Vallandry pour le Club Med, piscine Molitor, bientôt l’hôtel Baccarat à Dubaï et bien d’autres encore. Chaque lieu qui passe entre ses mains, raconte une histoire, toujours différente, mais avec élégance, fluidité et poésie. Et les touches d’humour ne sont jamais loin.

Un double vocabulaire au tombé juste

Amoureux des lignes simples, pures et chics, son empreinte et sa vision de la décoration en font un incontournable dans le domaine de l’architecture intérieure. Surtout, il ne reste jamais dans le même vocabulaire. A ses yeux, un architecte doit concevoir des projets ancrés dans le réel, avec des valeurs pour rassurer l’investisseur. Son credo : jamais de total look, mais une mixité harmonieuse de style, un double vocabulaire qu’il utilise avec brio. Il s’identifie à la Haute Couture et s’approprie le fameux "tombé juste", cette obsession de tout couturier qui se respecte.

Après de brillantes études d’architecture aux Beaux –Arts à Paris, où vous avez obtenu la mention TB, vous vous lancez dans la vie active et c’est l’opportunité de réaliser un hôtel parisien qui vous met le pied à l’étrier. Racontez …
Je suis issu d’une famille d’architectes, ce qui explique certainement mon orientation. Ma mère était passionnée d’art contemporain des années 60 (mobilier Knoll, Lampe Arko…) et j’ai baigné dans cette ambiance durant toute mon enfance.
Après un Bac C, passionné par le dessin, je me suis orienté vers des études d’architecture.
Mais à l’époque, être architecte de bâtiment n’était pas aussi « prestigieux » qu’aujourd’hui. C’est un métier dur, un parcours du combattant, où l’on doit plus souvent affronter des problèmes techniques que décoratifs.
J’ai commencé à faire des concours, et j’ai eu la chance que le Figaro me consacre quelques pages, ce qui m’a mis le pied à l’étrier.
J’ai pu ainsi avoir l’opportunité de « réaliser » mon premier hôtel, « le Clos Medicis » rue monsieur le Prince, dans les années 87/88.
Ce furent mes premiers pas dans le domaine de l’hôtellerie, puis d’autres groupes hôteliers et hôtels ont suivi : Sofitel, Méridien, Club Méditerranée, Marriot, Taj…

Votre agence traite aussi bien d’appartements que de maisons, bateaux, restaurants, (en citant pêle-mêle l’Austral, la piscine de Molitor, l’Avenue à Val d’Isère, Ligne de sièges Luca chez Roset Cinna), mais j’ai le sentiment que l’hôtel est votre « produit » de prédilection. Est –ce vrai ? Pourquoi ?
Oui effectivement, j’ai voulu continuer à faire des Boutiques Hôtels, car c’est le « vécu » qui m’intéresse et la touche personnelle que je peux apporter à l’établissement.
L’univers d’un hôtel est fascinant, il cumule les thématiques (lobby, chambres, restaurant, salles de bain, spa...) C’est cette complexité qui m’intéresse. J’aime sentir l’air du temps, et le retranscrire au sein d’un établissement.
Le design découle tout naturellement de l’hôtellerie et à l’opposé de l’architecture, j’aime le design et la scénographie.

Qu’entendez vous par « l’air du temps " ?
Il faut être capable d’identifier les besoins et les mouvances culturelles pour créer un hôtel, s’appuyer sur ses valeurs et ses racines, savoir comment se situer par rapport à la crise et au luxe et surtout, être pertinent et juste dans sa traduction reste essentiel.
Il faut rester créatif et surtout ne pas s’enfermer dans un univers, une bulle, un style.
Au contraire, le plus facile ou le plus difficile parfois, c’est de se remettre en question et de rester à l’écoute tout en identifiant les besoins de ses clients et de savoir les retranscrire.
J’aime jouer avec la mixité des styles, les contrastes, mélanger par exemple du mobilier occidental et du traditionnel.
J’apporte une certaine fluidité, mais jamais de total look !
Par exemple pour la Galerie de Dietrich, j’ai apporté un esprit gloss avec des murs bruts.

Vous dites que vous aimez concevoir des projets comme on écrit un livre, comme on fabrique un film. Expliquez-nous ?
Lorsque vous pénétrez dans un hôtel, c’est comme entrer dans l’univers d’un film, de son histoire. Vous êtes happé et vous voyagez. Il faut créer la surprise, le contraste, le code de l’étonnement.
L’hôtel doit faire rêver, fantasmer. C’est un lieu glamour que le client s’approprie et où il se réinvente une histoire.

Quel est votre lieu de prédilection dans un hôtel ?
Le lobby. C’est lui qui donne le ton et la note d’un hôtel.

Vous avez à votre actif des réalisations prestigieuses dans le monde entier.
Le Sofitel de la Défense, celui de Budapest, Le Hilton d’Evian, L’hôtel Taj en Inde, L’Avenue Lodge à Val d’Isère, un vrai succès, le Club Med de Pesey Vallandry en Haute Savoie, le Yasmina au Maroc, la Galerie de Dietrich, la piscine de Molitor, un hôtel Baccarat à Dubaï et bien d’autres encore.
Quelle est la réalisation dont vous êtes le plus fier ?

Je suis particulièrement fier du bâtiment que j’ai conçu à Osaka pour le pâtissier Henri Charpentier au Japon.
Célèbre dans ce pays, il conçoit ses pâtisseries comme des collections de bijoux et j’ai voulu lui créer un univers chaleureux, spacieux, construit comme un appartement avec des lignes pures, un sol en teck de Birmanie... Pour ce projet, j’ai conçu le bâtiment extérieur et la décoration intérieure en retravaillant une lecture du lieu au second degré.
J’ai ensuite réalisé un autre concept basé sur la nature pour la première société de cosmétiques « Pola » à Ginza. J’ai ainsi associé la sophistication de la nature aux traditions japonaises, dans un esprit contemporain.

Vous faites partie des grands architectes reconnus, mais quelles sont les caractéristiques qui vous différencient de vos confrères ? A quoi vous reconnait-on ?
Par des lignes claires, fluides, ainsi que beaucoup de sobriété et de naturel dans mes créations.
J’emprunte mon vocabulaire à la Haute Couture, et j’aime le « tombé juste » d’une ligne.
Dans mes réalisations, la simplicité et la sensualité s’entrecroisent et se mêlent harmonieusement.
J’aime également les touches d’humour. N’oublions pas qu’un hôtel de luxe c’est le code de l’étonnement.
Mes fils conducteur : élégance, simplicité, sobriété et lignes fluides.

Quels sont les mots que vous aimez ?
J’aime le mot « élégance » qui est moral et physique. A mes yeux, il a une sorte de profondeur.
Mais surtout le mot a sa place, il doit être justement dosé.
Par contre le mot « contemporain » ne me définit pas.

Vous avez la cinquantaine, une notoriété acquise, une reconnaissance internationale, mis votre signature sur des établissements prestigieux, vous débordez d’énergie. Comment voyez-vous votre avenir ?
J’aimerais réaliser un palace et pourquoi pas le Lutetia ou bien un hôtel à New York. L’environnement m’inspire beaucoup et j’avoue que New York comme beaucoup d’entre nous, booste mon imagination.

Vous avez besoin d’histoire pour imaginer un hôtel. Mais si vous n’en avez pas, comment procédez-vous ?
Je ne reste jamais dans le même vocabulaire. Je me sers de mon expérience, qui reste en toile de fond, mais ensuite j’ai une forme d’expression qui diffère selon le lieu sur lequel je travaille.
Par exemple pour le Sofitel Défense Centre, je suis parti sur la thématique d’une working girl casual pressée et qui court sans cesse. Ce fut mon interprétation.


Novembre 2011
Par Katya PELLEGRINO