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Faut-il interdire Christian Louboutin ?

En véritable fan des chaussures Louboutin, j'étais dans mes petits souliers à l'idée de rencontrer celui pour lequel tout peton digne de ce nom se damnerait. Mais pourquoi Louboutin nous fait-il cet effet-là ? Parce que...

Christian Louboutin est une punition. À 450 euros la paire d'escarpins, on a envie de les ravir tous à défaut d'en choisir un seul. On s'imagine bien s'enfuir en courant de sa boutique (chose possible vu la formidable assise de ses talons), pour les cacher et les mettre à l'abri des regards indiscrets, comme les bijoux qu'on enferme dans un coffret. Les banques devraient d'ailleurs ouvrir des coffres spéciaux pour les Louboutin.
Ce serait d'un chic ! "Où sont mes Louboutin ? Ah oui, au coffre..."

Christian Louboutin est psychotrope. Il réveille la petite fille qui est en nous. Celle qui a lu Cendrillon et sait qu'elle peut séduire n'importe quel prince charmant à la seule force de son escarpin. Pour la cérémonie des Oscars, il a dessiné pour Nicole Kidman une paire de souliers en cristaux Swarovski, réplique exacte de celle que portait la princesse lors de la fameuse réception. Pauvre petite fille riche...

Christian Louboutin est un vice. Ses chaussures sont meilleures que les mini-macarons à la framboise de Ladurée ! Son nom résonne comme un sucre d'orge, est-ce pour cela qu'on ne peut lui casser du sucre sur le dos ?... Même en satin noir, pointues et dotées de talons aiguilles de 10 cm, ses chaussures sont rose tendre, douces et toutes rondes. Chaussés en Louboutin, nos pieds se font la belle. Pour peu que la semelle rouge écarlate, sa marque de fabrique, ne soit pas trop usée - ce qui indiquerait 1) qu'on va bientôt s'en faire offrir des nouvelles, et 2) qu'on est tellement addict que l'on n'arrive pas à s'en séparer - on fait l'admiration des fashionistas du monde entier.

Christian Louboutin est une addiction qui dure depuis ses premières réalisations pour Roger Vivier et Charles Jourdan.
Mais comme il n'est pas question de s'en passer, on ne va pas s'en plaindre. Si "en Devernois, je suis moi", en Louboutin, je suis trop bien ! À la réflexion, l'injustice que soulève Christian Louboutin n'est pas les 450 euros que coûte une paire d'escarpins (ils les valent bien), mais que cette somme représente la moitié d'un loyer de 50 m2 à Paris ! Néanmoins...
Christian Louboutin est devenu si indispensable à la jambe féminine qu'il nous conduit à soulever l'unique point qui soit vraiment pervers : faut-il interdire Louboutin ?


Pourquoi une semelle rouge ?

Quand j'ai vu mes premiers souliers arriver, il y avait cette énorme semelle noire qui gâchait tout. J'avais une assistante qui n'arrêtait pas de repeindre ses ongles en rouge, je lui ai emprunté son vernis et en ai recouvert la semelle. Tel un révélateur, le dessin est apparu. Du coup, je l'ai gardé. Ce rouge est un feu vert. Dans la rue, quand on se retourne sur une femme chaussée en Louboutin, c'est la dernière chose que l'on voit d'elle. On est d'ailleurs en train d'inventer une semelle topy rouge pour faciliter le ressemelage...

Pourquoi vos chaussures sont-elles si sexy ?

Quand je dessine, j'imagine les femmes nues. Le soulier doit déshabiller et non habiller. Un soulier réussi est un soulier qui laisse la femme nue. D'ailleurs, une femme dénudée avec des souliers n'est jamais ridicule.

Pourquoi vos chaussures sont-elles si chères ?

Parce qu'un soulier très bien fabriqué coûte cher. La différence entre un très bien fait, en Italie, et un autre réalisé à la va vite, est énorme. Pour mes souliers, il y a environ 120 manipulations. C'est une technique qui ne se voit pas forcément, mais je ne baisserai jamais ma qualité.

Pourquoi vos chaussures sont si belles - que c'en est limite indécent ?

Je connais les femmes. J'ai quatre sœurs, une mère et quasi pas de père. Quand on est enfant dans un univers de femmes, c'est très rigolo car les filles ne se gênent pas avec un petit garçon. Quand une femme essaie une paire, j'ai toujours remarqué qu'elle ne regarde pas les souliers. Elle les met, elle se regarde dans la glace, elle gonfle la poitrine, jauge ses jambes ... Si son reflet lui plait, alors elle regarde les souliers.

Pourquoi ne pas lancer une ligne bis ?

Ma motivation principale est le plaisir. Si je me mettais dans une situation où, pour gagner plus d'argent, j'aurais plus de travail et plus de stress, je perdrais le plaisir que j'ai à dessiner. À travers les objets que crée un designer, on voit s'il est plutôt heureux ou malheureux.

Pourquoi ne dessinez-vous pas pour une autre ligne ?

Je ne crois pas à la multiplicité. Si je devais faire autre chose, ce serait quelque chose de complètement différent. J'ai écrit sur les jardins et suis en train de rédiger un long-métrage.

Pourquoi cette fascination pour les talons ?

La première fois que j'ai vu une femme avec des talons aiguilles, c'était à la Foire du Trône, j'étais fasciné car je n'en avais jamais vu. La seule chose que je connaissais, c'était un dessin de chaussures barré de rouge, pour signifier que les talons sont interdits dans les musées, à cause des parquets. À partir de ce dessin, j'ai dessiné mes premiers talons. La première fois que j'ai vu un talon en vie, donc, je l'ai suivi et, à un moment, on m'a donné un grand coup de pied au c... C'était une prostituée, j'imagine que c'est le souteneur qui m'a dit de dégager ! Mais je ne suis pas fétichiste. On ne risque pas de me retrouver, comme dans les films de Bunuel, avec une paire de bottines coincées entre les dents !

Pourquoi fréquentez-vous si peu l'univers de la mode ?

À la base, je voulais travailler pour les danseuses, pas pour la mode. Je conçois les souliers comme d'autres travaillent les bijoux : on ne réfléchit pas en terme de saison... Même la femme la plus excentrique ou la plus dépensière ne va pas acheter un bijou en se disant, au bout de quatre mois : je n'en peux plus. Je n'ai pas en tête le métronome de la mode. C'est ma maison, j'ai donc le luxe de ne pas avoir à me presser. 



Florence Julienne de Sourdis 
Portrait Raphaël Gianelli Meriano



                                                                                           Cet article est paru dans ENJOY n°1 
                                                                                                        
Septembre 2006
www.christianlouboutin.fr

Boutique Christian Louboutin
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