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2020 : une année noire pour le tourisme mondial

La crise sanitaire du coronavirus déstabilise fortement l’économie mondiale et en première ligne l'industrie du tourisme. L’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) prévoit cette année, une baisse de 300 à 500 milliards de dollars des recettes, soit un tiers de 1500 milliards générés en 2019. La France pourrait perdre quant à elle, jusqu’à 40 milliards d’euros par trimestre. Anne Gombault, Claire Grellier Fouillet et Jérémy Lemarié analysent pour Luxe Magazine, la situation et ses conséquences.

Présentation des auteurs de cette analyse

Anne Gombault est professeur de management et directrice du centre de recherche Industries créatives Culture, à l'école de management française : Kedge Business School. Elle a mené des travaux pour différentes institutions, dont l’Europe, le Ministère de la Culture en France, le Musée du Louvre, des régions et des villes dans différentes régions du monde. Claire Grellier Fouillet, coordinatrice pédagogique dans la même école, a aussi écrit une thèse sur les entrepreneurs innovants du tourisme en France. Jérémy Lemarié est docteur en sociologie, enseignant en anglais management et éducation, à l'Université Paris-Est Créteil Val de Marne. Ils se sont tous trois mobilisés pour dresser un état des lieux...

La situation est allée très vite...

Fondation Maeght : proximité, luxe, calme et volupté @Anne Gombault

Thierry Breton, commissaire européen, a annoncé début mars, que l’Europe avait déjà perdu au moins deux millions de nuitées dans l’hôtellerie depuis janvier.
Lors de son allocution télévisée du 16 mars, le président de la République Emmanuel Macron a décrété la fermeture des frontières, à l’entrée de l’Union européenne et de l’espace Schengen durant 30 jours.
Enfin, la suppression progressive des grands événements internationaux comme les J.O de Tokyo, l'Euro 2020, prive les territoires d'externalités positives.

Les premières zones clés impactées

Bateau-taxi vers l’aéroport de Venise : vers la régulation du surtourisme @Anne Gombault

Au commencement, cette crise sanitaire a d'abord affecté les déplacements des touristes chinois. Il faut savoir que ce sont eux qui dépensent le plus durant leurs séjours à l'étranger, loin devant les Américains, avec 277,6 milliards de dollars dépensés en 2018, dont 4,4 milliards en France.
Alors que le président Xi Jinping interdisait les voyages de groupe en Chine et à l’étranger dès la fin janvier, les conséquences se sont fait rapidement sentir au Cambodge et en Thaïlande où le tourisme représente plus de 10 % du PIB, mais aussi en Corée du Sud, au Vietnam, au Japon, en Australie, dont presque la moitié des touristes internationaux viennent de Chine, Taiwan ou Hongkong.
La crise s’est ensuite attaquée à la première destination mondiale : l’Europe. En 2018, le continent avait totalisé 672 millions de touristes. Le tiers de ces touristes avaient voyagé en Italie, France et Espagne, trois destinations dans le top 6 des pays les plus affectés par le coronavirus, avec des destinations phare comme Venise, Milan et Paris.
D’après l’Organisation Mondiale du Tourisme, l’ensemble du secteur est entré très tôt dans une phase de décroissance avec des prévisions s’échelonnant entre moins 3 % et moins 12 % de touristes suivant les zones, qui se sont accrues depuis. Un facteur d'amplification est venu en effet s'ajouter avec le temps : le gel de décision d’achat des vacances.

La révélation d'un "overtourism"

Après le constat d'une baisse conséquente de la pollution, de la régénération de la lagune de Venise, et d'une nature qui globalement reprend ses droits, le "sur-tourisme" a été pointé du doigt. Les émissions carbone de l’aviation civile pour ne citer que cette pollution, a notamment attiré l’attention. Caractérisé par une dégradation des écosystèmes, des sites, des conditions de vie des résidents, ce tourisme de masse va devoir revoir sa copie et il est évident que le tourisme d'après la crise, sera pensé et vécu différemment. Cette pandémie qui l’a temporairement stoppé, aura au moins l'avantage de réfléchir à comment le réguler.

Un nouveau tourisme en perspective

Soleil couchant sur Dubrovnik : génération numérique @Anne Gombault

La crise du Covid-19 pose donc en creux la question du sens d’un tourisme globalisé et invite à repenser l’industrie du tourisme. L’idée générale serait d’aller vers un tourisme responsable et innovant, qui se focalise et se structure davantage sur l’identité des territoires et qui les dynamisent tout en respectant la qualité de vie des habitants et la valeur expérientielle et mémorable du voyage.
Pour éviter le retour à un tourisme toxique, la clé est la planification, de préférence en amont. Comme l’explique Tony Wheeler, le fondateur du Lonely Planet, les hauts lieux du tourisme doivent prendre des mesures de régulation des flux comme le font déjà certaines destinations, comme Barcelone, Cinque Terre, Dubrovnik, Islande, etc.
Le monde est vaste et dieu merci, la plupart des lieux ne sont pas concernés par le tourisme de masse. Il faut donc investir et valoriser de nouveaux sites. Et parfois, ils ne sont pas loin. La tendance du staycation et du slow tourism s’intensifiaient déjà avant la crise. Par conséquent, les voyageurs vont voir de plus en plus le tourisme de proximité comme un bon moyen de maximiser leur temps de vacances, en évitant un transport long, coûteux et impactant, et de redécouvrir les territoires et terroirs.

Un mal pour un bien

En chinois, le mot crise "Wei Ji" est composé de deux caractères qui signifient "danger" et "opportunité". Il nous renvoie avec ironie, à l’essence même de cette crise, à la fois douloureuse et favorable à l’apprentissage. En faisant fonctionner le tourisme à l’envers, la crise du coronavirus peut avoir un effet de "change maker" en bouleversant les comportements et pratiques et permettre d’accélérer la transformation d’une industrie encore très conservatrice.
Mai 2020
Par Luxe Magazine