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Paris ésotérique : sur les traces des alchimistes

Qui n’a jamais rêvé de découvrir la face cachée des choses ? Et si tout était écrit dans la pierre et qu’il suffisait de vous révéler la signification de ces symboles qui grouillent sur nos façades pour percer enfin les mystères de Paris ? Après le terrible incendie que vient de connaître Notre Dame de Paris, Luxe Magazine a souhaité lui rendre hommage en remontant d'abord aux origines alexandrines de ces mystères pour mieux comprendre le travail des bâtisseurs et ouvrir les yeux sur un monde insoupçonné...

Mission Cléopâtre !

Blason de Paris -1er Empire

Par Toutatis ! Ou plutôt « Par Isis » ! C’est à dire « Paris ». Hé oui ! Paris est bien plus exotique qu’il n’y paraît. Isis, déesse-mère égyptienne, a non seulement donné son nom à la ville lumière, mais aussi donné naissance à l’alchimie, science ésotérique et fil rouge de notre enquête d’aujourd’hui. « Al-Kheima » désignait cette « Terre Noire » fertilisée par les crues du Nil qui ont rendu possible l’essor de cette civilisation. Celle-ci a rayonné à travers les siècles et les continents, et ce jusqu’à Paris ! Saviez-vous qu’un culte à la déesse était connu ici bien avant l’établissement du christianisme et que des statuettes à son effigie furent exhumées de tombes situées sur l’île Saint-Louis ? Saviez-vous que jusqu’en 1550, une statue d’Isis alors associée à la Vierge, trônait encore à l’église de Saint-Germain-des-Prés ?
À la Révolution, c’est encore la déesse qu’on adore sur les ruines de la Bastille, siégeant sur la fontaine de la Régénération.
À son retour des campagnes d’Égypte, Napoléon initié lui-aussi au culte de la divinité, ajouta celle-ci sur le blason de Paris, en proue du bateau allégorique qui « Fluctuat nec mergitur ». Au-dessus de la nef, il fit apposer l’étoile polaire qui guida Isis jusqu’à Byblos, en quête des morceaux de son défunt mari. L’empereur remplaça enfin les fleurs de lys par des abeilles dorées, naguère gardiennes du pouvoir de pharaon. En 1836, l’obélisque de Louxor est érigé sur la Concorde, place aussi nommée en l’honneur de la loge maçonnique « la Concorde » qu’elle abritait. Nous pouvons donc considérer les francs-maçons comme les derniers alchimistes spirituels existant, héritiers des mystères de l’Égypte antique et de certains préceptes alchimiques qui en découlèrent et impactèrent le sens et l’esthétique des monuments parisiens.

Qu’est-ce que l’alchimie ?

Le tarot alchimique figurant l'athanor
© Sarah Sergent

L’alchimie est une discipline d’abord scientifique, ayant pour but la Connaissance. Cette dernière passe par des découvertes techniques, issues du travail du feu et de la matière, qui concernent entre autres la métallurgie et la médecine. Il existait deux types d’alchimiste. Le premier appelé « opératif » travaillait devant son fourneau, en vue d’obtenir la « pierre philosophale » qui permettait la transmutation du plomb en or, ou bien la fabrication de la panacée, remède contre tous les maux !
Marcellin Berthelot, chimiste du XIXè, voyait l’alchimie comme une pré-science à l’origine de notre chimie moderne. À défaut en effet d’avoir réussi à fabriquer cette pierre, de nombreux alchimistes, du fait de multiples expériences, ont contribué au progrès de la science. Au XIIIè siècle, Raymond Lulle élabora le bicarbonate de potassium. Paracelse, père de la pharmacopée moléculaire, posa dès le XVIè s., les jalons de l’homéopathie. Il évoqua même l’idée d’une médecine holistique bien avant l’heure : « Là où l’esprit souffre, le corps souffre » ! Basile Valentin découvrit l’acide chlorhydrique. Il n’est donc pas question d’apprentis sorciers, même si cette pierre philosophale renvoie souvent dans l’inconscient collectif, au domaine d’un occulte caricatural ! Sa poudre rouge servit par exemple à teindre des étoffes et à colorer les vitraux de la cathédrale de Chartres.
Les Compagnons du Devoir relèvent de cette catégorie opérative. La matière qu’ils s’appliquaient à sublimer, était à travers leur chef-d’œuvre, la pierre ou le bois.
Le second type d’alchimiste, appelé « spéculatif », voyait en l’homme un métal grossier mais perfectible. Ses « fourneaux » à lui étaient les livres et sa foi en dieu.
Certains étaient à la fois opératifs et spéculatifs, autrement dit manuels et intellectuels. Tous ont participé à la réalisation d’œuvres exprimées à travers un vocabulaire imagé et codifié pour nous transmettre des messages à travers les âges.
Quelle que soit cette « pierre », physique ou métaphysique, il y a bien… matière à philosopher !

Sur le parvis de l’Hôtel de Ville

Parvis de l'Hôtel de Ville

Placez-vous face à l’Hôtel de Ville et regardez au sol ! Que voyez-vous ? Un bateau... Quoi de plus naturel que de retrouver les armoiries de Paris au pied de ce bâtiment politique ! Mais cette nef n’est pas sans rappeler celle d’Isis ! Elle est aussi la métaphore de l’athanor, le fourneau de l’alchimiste, dont sortira la « matière prochaine », autre façon de nommer notre pierre des sages.
Rappelons-nous cet épisode du mythe : Isis assistée par Anubis reconstitua le corps de son époux. Puis elle s’unit à lui. Fécondée grâce au pouvoir de Ré, elle enfanta Horus dit « matière prochaine ». Osiris, le mari miraculé, fut alors rendu à la vie éternelle. Par extension et d’un point de vue spéculatif, cela signifie que toutes nos actions, toute « matière prochaine », relèvent du divin ; que nos projets sans foi aucune ne pourront jamais aboutir.
Placez-vous maintenant du côté opposé ! Que voyez-vous ? Notre embarcation et ses mâts se sont transformés en un chandelier à 7 branches, lui-même évoquant l’arbre de vie. Ce chiffre renvoie aux 7 qualités initiatiques requis par l’alchimie : la volonté, l’amour, la compréhension, l’harmonie, la sagesse, le service (servir son prochain : une mission chère aux Compagnons du Devoir) et le rayonnement. Une phrase revient souvent chez nos praticiens : « On reconnaît l’arbre à ses fruits ! ». Nous sommes donc tous responsables de nos actes, jouisseurs ou victimes. Et pour nous permettre de donner de meilleurs fruits, l’alchimiste propose que nous réalisions 3 œuvres. « L’œuvre au noir » consiste à reconnaître notre côté obscur, accepter nos faiblesses et cultiver l’humilité pour entamer un travail sur la Connaissance… de soi. Vous comprenez maintenant pourquoi l’œuvre au noir a inspiré à Carl Gustav Jung La psychologie des profondeurs. « L’œuvre au blanc » est une phase de reconstruction. C’est un travail de rectification de notre être, aux fins d’acquérir une droiture, exigée ici de ces hommes qui administrent une ville ! Un message clair pour faire taire l’égo de ces hauts magistrats pour qu’ils servent uniquement les intérêts de la capitale. « L’œuvre au rouge » signe enfin la réalisation de la pierre philosophale et plus largement, la pureté de notre âme.
« Solve et Coagula » était la devise des alchimistes. Sur un plan technique, cela signifie « dissoudre et former », les couleurs évoquées faisant d’ailleurs référence à des réactions chimiques. Sur le plan humain : « se remettre en question et se trans-former ». Un vaste programme appliqué à chaque monument sur lesquels nos artisans philosophes sont intervenus…

Notre-Dame de Paris : un manifeste ésotérique

Notre Dame de Paris by night © Sarah Sergent
Portail central de Notre Dame de Paris © Sarah Sergent
Cybèle, déesse alchimique © Sarah Sergent
Chevalier protégeant un athanor et son feu, sous-entendu qu'il faut se fabriquer une armure pour se préserver et se ranger du côté de la lumière pour rendre ce monde plus supportable © Sarah Sergent
Le dragon terrassé par Saint Marcel © Sarah Sergent
La rose : unique trace de polychromie subsistant à Notre Dame de Paris © Sarah Sergent

Au Moyen-âge, les alchimistes se rassemblaient sur le parvis, le jour de Saturne. Pourquoi Saturne ? Parce qu’à chaque planète correspondait un métal et que Saturne était associé au plomb. Un praticien digne de ce nom devait être un excellent astrologue ! L’alchimie était en effet l’apanage des érudits, comme il a été longtemps celui des religieux. Ces derniers, à commencer par le clergé des temples égyptiens, étaient les seuls à avoir accès au savoir et à posséder l’argent nécessaire à des pratiques empiriques. Cette dimension spirituelle se retrouve aussi dans l’étymologie du mot « laboratoire » dans lequel œuvraient ces alchimistes : « labor » travail et « orare » prier.
Jadis, Notre-Dame se dressait sur un promontoire de 11 marches. Ce nombre est celui de la Rédemption. Autour de la cathédrale, une balustrade délimitait autrefois l’espace sacré de l’espace profane. Pour franchir cette limite, le fidèle devait d’abord se purifier dans une fontaine aujourd’hui remplacée par une étoile à 8 branches (chiffre de l’infini), indiquant le kilomètre zéro.
La flèche de Notre-Dame mesure mesure 96 mètres : 9 + 6 = 15 : nombre alchimique de la Connaissance. 9 est le symbole de l’homme nouveau incarné par le Christ, et le 6 celui de la matière.
L’architecture gothique est lumineuse à plus d’un titre ! Fenêtres hautes et rosaces laissent passer toute la lumière, créant à la croisée du transept une atmosphère « magique ». Les bâtisseurs ont ainsi servi la cause d’une construction « goétique », c’est à dire « ésotérique ». Trois adjectifs similaires. On disait d’ailleurs des alchimistes qu’ils s’exprimaient dans un langage argotique : Art gothique ! Tout s’explique…
Sur le trumeau du portail Sainte-Anne, Saint-Marcel, premier évêque de Paris, terrasse le dragon, symbole du paganisme. En réalité, il combat aussi bien l’hérésie que notre part d’ombre. Le sculpteur a signifié ici l’œuvre au noir. Sous le dragon, une femme emmaillotée symbolise l’âme nouvelle en devenir. Ses yeux fermés nous convient à faire un travail d’introspection pour passer de l’ombre à la lumière. C’est une allusion directe à la devise des Rose-Croix, alchimistes spéculatifs : « V.I.T.R.I.O.L » : « Visite l’intérieur de la terre et en rectifiant, tu trouveras la pierre cachée ».
Sur le portail central, le Christ tient un glaive vert. Le vert en alchimie est synonyme de sagesse. En tant que sage des sages, le messie transcende les « ombres » du Jugement Dernier. L’apocalypse n’est qu’une transition, comme l’œuvre au noir précède à toute régénérescence. La finalité de ce monde est bien la Connaissance et nous devons avoir foi en Jésus malgré les épreuves. Cette Connaissance est ici aussi incarnée par Cybèle, grande déesse à l’instar d’Isis. Vous la voyez tenant un bâton de commandement et une échelle en référence à celle de Jacob qui relie le monde d’en bas au monde spirituel. Le nombre de ses barreaux renvoie aux degrés pour parvenir à l’initiation ultime. Elle tient aussi une Bible ouverte, représentation de l’exotérisme (« partie d'une tradition ou d'une religion qui peut être divulguée aux non-initiés » déf. Larousse), et une Bible fermée, relative à l’ésotérisme (« partie d'une tradition ou d'une religion qui ne peut être divulguée aux non-initiés » déf. Larousse).
Ce portail pose enfin une question intéressante : comment incarner la lumière dans notre monde d’aujourd’hui ? Les vertus représentées dans des médaillons latéraux montrent l’exemple. Mais la lecture alchimique de ces médaillons va bien au-delà ! Déchiffrons ensemble les messages que les artisans de Notre-Dame ont dissimulés dans la pierre…

Le Louvre

Statue équestre de Louis XIV © Sarah Sergent
La Chute d'Icare - galerie d'Apollon © Sarah Sergent
Le tarot alchimique figurant l'athanor

Conçu tel un temple antique, le Louvre révèle un espace sacré figuré par la cour Napoléon et un espace secret illustré par la cour Carrée.
En alchimie, la pyramide est une représentation du cinquième élément, appelé aussi éther-feu, qui concentre la lumière astrale. Pas étonnant lorsqu’on sait que les sept pyramides et bassins au total, ont été décalqués sur la constellation d’Orion !
La petite pyramide inversée est en réalité le puits des Rose-Croix, par lequel opérer notre introversion.
La statue équestre de Louis XIV joue aussi un rôle dans cette vision ésotérique. Son cheval se cabre, allusion à nos instincts primaires et à l’œuvre au noir. Quant aux flammes qui dansent sous sa croupe, elles viennent au secours de la « matière première » pour être transformée grâce au rouge du feu.
La cour carrée est dédiée aux divinités solaires. Au nord brille l’étoile polaire. Au sud, située au-dessus de la crypte du sphinx de Tanis, Minerve tend des couronnes de lauriers aux arts Libéraux, avec à sa gauche un sphinx et une équerre. À l’ouest, une déesse grave sur la pierre le nom de Napoléon, assistée par Isis. À l’est, un coq apparaît dans un soleil flamboyant, annonciateur du jour. Le volatile s’agrippe à un ouroboros qui symbolise les cycles et la gnose. Les sculpteurs nous indiquent que nous sommes là, à la fin de l’œuvre au rouge. Alors que le soleil se lève, le temps du rayonnement et de la transcendance est venu.
À l’intérieur, la galerie d’Apollon est une galerie initiatique. Si vous regardez au plafond, une scène décrit la chute d’Icare. Chez les alchimistes, la chute n’est pas une fatalité, car ils considèrent qu’être incarné dans la matière ne va pas de soi et que cela passe par des erreurs et des souffrances. Icare est tombé parce qu’ayant élevé son égo au lieu de son âme. Regardez cet autre tableau intitulé « La Nuit » de Charles Lebrun, en rapport avec l’œuvre au noir à travers les rêves et le monde de l’au-delà. Si la nuit est anxiogène pour beaucoup d’entre nous, le message se veut rassurant, disant la nécessité d’apprivoiser ses peurs, car en aucun cas, elles définissent l’être que nous sommes ou pouvons devenir. Elles font naturellement partie de ces ombres qui nous obligent à travailler sur nous-mêmes et à nous dépasser.

Nicolas Flamel et la tour Saint-Jacques

Maison de Nicolas Flamel © Sarah Sergent

Au XIVè s., Nicolas Flamel gagne sa vie en donnant des consultations juridiques et en copiant des livres. Il vit près de l'église Saint-Jacques-de-la-boucherie dont subsiste aujourd’hui une tour emblématique. Mais il rêve lui aussi de transformer le plomb en or ! Il connaît par cœur les œuvres de Raymond Lulle, alchimiste notoire qui aurait été enfermé dans la Tour de Londres par le roi d'Angleterre pour y fabriquer de l’or. Le seul ouvrage de Flamel, parvenu jusqu’à nous, s’intitule : "Le livre des figures hiéroglyphiques". L’Égypte encore ! Personne ne sait de source sûre si ses travaux ont été couronnés de succès, mais sa fortune le laisse penser. Toujours est-il qu’il finança un portail pour l'église en question et qu’il y fut enterré. Deux siècles après sa mort, le voyageur Paul Lacar, missionné en Asie par Louis XIV, rapportait qu’il avait appris d’un derviche que Nicolas Flamel et sa femme vivaient encore et qu’ils prolongeaient leurs jours au moyen d’une poudre secrète ! Au 51 rue de Montmorency se trouve une splendide maison lui ayant appartenu. On distingue encore sur les piliers des anges gravés, ses initiales, ainsi que sa devise « Ora et labora ».

Épilogue
Notre Dame de Paris © Sarah Sergent

« La chose que tu cherches depuis si longtemps, écrivait l'alchimiste Morenius, ne peut être acquise ou accomplie par la force ou par la passion. On ne peut la trouver que par la patience et l'humilité et par l'amour le plus constant et le plus parfait. Car Dieu accorde cette force et divine science à ses fidèles serviteurs, c'est-à-dire à ceux à qui il a décidé de l'accorder par la nature originelle des choses ». Dieu a accordé bien des mystères à la ville lumière ! Pour en savoir davantage sur les fontaines mercurielles, le grain de « sel » de Viollet-le-Duc ou la passion de Victor Hugo pour l’ésotérisme, Luxe Magazine vous emmènera bientôt à la découverte d'autres mystères...

Par Sarah Sergent
Avril 2019
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